Extrait du journal

Le cadre un peu trop vaste de l’Orangerie ne convient pas aussi bien qu’on l’eût souhaité aux peintures de Daumier qui sont toujours de dimensions assez réduites,. Ce n’est qu’une impression première. Il suffit de s’approcher des œuvres pour l’oublier. Mais que dire en face d’elles. On chercherait vainement à découvrir leur secret. Il n’est pas en elles. Etrange et blâmable entreprise que de vouloir expliquer ces toiles. On y voit bouger des formes noires, se déplacer des flaques de lumière, un visage blanc sort de l’ombre. Quels efforts, quelles douleurs, quels sentiments sont à l’origine de tout cela? C’est ce qu’on voudrait savoir. Je crois bien que Daumier dessinateur peut expliquer Daumier peintre. Il faut d’abord mesurer cette prodigieuse puissance d’évocation, cette magnifique mémoire des formes, cette incroyable imagination des mouvements attestées par des milliers de croquis pour comprendre ces quelque cent toiles. On voit bien qu’il portait en lui un monde, avec son décor, ses personnages, un monde où la lumière souvent venait d’en bas. Les personnages, ce n’étaient pas seulement ces avocats ou ces ministres, pauvres fantoches qui se débattaient au bout de son crayon, mais des hommes sans nom et pourtant bien vivants. Individualiser. pour lui, ce n’est pas faire ressemblant, c’est créer un individu, « un autre » : Paillasses tragiques, Don Quichotte de carrefour, Jocrisses de cabaret et surtout cette ménagère, de formes un peu lourdes,...