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Gazette nationale ou le Moniteur universel, 15 janvier 1839

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Gazette nationale ou le Moniteur universel
15 janvier 1839


Extrait du journal

et à ses œuvres. C’est en effet là le double caractère dei créations dues au talent de la princesse Marie. Ce qu’on f remarque, c’est à la fois I inspiration et la gravité, une ori ginalité puissante et contenue , une passion qui vient de l’âme , un sentiment de l'idéal qui maîtrise et subjugue là forme sans l’altérer, quelque chose de surnaturel, de chaste et de divin , Quis deus incertum est, habitai deus, sous une enveloppe mortelle et périssable. Telle était la princesse Marie comme artiste. Elle eût été ar tiste, même sans l’éducation qu’elle avait reçue. Grâce à celle éducation forte à laquelle avait présidé, sous la direction de !a Reine, une femme d’un rare mérite, M** de Mallet ; grâce à cette double discipline de l’instruction littéraire et de la foi religieuse, la princesse Marie s’était élevée jusqu’à l’intelli gence de l’idéalitc dans l’art ; elle avait, jeune fille timide et novice, atteint à cette hauteur sereine et pure où des génies plus mâles et plus fermes ne mentent pas toujours. Son âme avait, si l'on peut s’exprimer ainsi, le lest qui la préservait de tout naufrage au milieu des écueils que l’imagination et la sensibilité sèment incessamment sous les pas des artistes. Ohl sans doute un homme du métier, accoutumé à pétrir la cire et à creuser le marbre, aurait donné plus dë fermeté aux contours de son œuvre, serait parvenu à un genre de correc tion plus académique ; aucun n’aurait mieux rencontré pour la dignité de l’attitude, pour la profondeur de l’expression, pour la grandeur de l’aspect, pour la noblesse et l’élévation de la pensée. Tel est, si nous l’avons bien jugé, le caractère véritable de celte statue populaire, de cette Jeanne d’Arc qui est aujourd’hui un des chefs-d'œuvre du Musée de Versailles. Tel était aussi le mérite singulier de beaucoup d’autres es sais (1) qui n’étaient pis destines au public : une Jeanne d’Arc équestre, des bas-reliefs tirés du poème d’Ahasvérus, les vitraux de la chapelle Saint-Saturnin, et une infinité de dessins qui remplissent les albums de la famille royale ; œu vres dont la plupart ne sont pas connues, œuvres qu’elle aimaità cacher comme son âme, dont les trésors ne s’ouvr.iient que pour la vie intime, comme son esprit qui n’.iimait pas à se répandre au dehors. Seule, Jeanne d’Arc avait quitté l’a telier de la princesse pour aller prendre une place à Ver sailles au milieu de cette foule de statues qui sont comme les archives de marbre de notre histoire. Mais en se mon trant au jour, on voit que Jeanne d’Arc est restée timide. La jeune héroïne baisse les yeux ; elle croise les bras sur sa poitrine ; elle se cache derrière son épée, qui semble plutôt une croix détachée de l’autel que 1 arme vengeresse qui sauve la France. Elle ne trahit sa vocation guerrière que par la fermeté avec laquelle ses pieds, chaussés de fer, semblent attachés au sol qu elle va défendre. On comprend que si son âme est pleine de contrition et d’humilité devant Dieu, son cœur du moins ne tremblera pas devant les Anglais ! C’est ainsi que la princesse Marie était sortie de sa douce obscurité ; c’est avec celte réserve craintive qu’elle s’était produite. Comme sa Jeanne d'Arc, elle était timide devant lu monde. Elle ne l’aitmit pas ; non qu’elle ne fût bienveillante et douce, mais la représentation, la gène, la dissimulation élégante, la froide étiquette, toute celle vie à laquelle son rang la condamnait trop souvent, blessait en elle tous ces instincts de liberté et de poésie,comprimait douloureusement toute celte verve d’artiste inspiré qui fermentait dans son imagination et dans son âme. Aussi les salons la jugeaient-itS avec sévérité. On lui reprochait de ne pas savoir faire les frais d’une conversation officielle. On blâmait l'empressement avec lequel on la voyait maintes fois se soustraire aux ennuis solennels d’une réception. On avait raison de la blâmer ; son rang la condamnait à I ennui, au cérémonial, au supplice de l’immobilité muette et guindée. Sa raison se soumettait quel quefois, et alors on admirait la dignité de son maintien. Par fois aussi là princesse quittait la place... Non, c’était l’ima gination qui emportait l'artiste sur ses ailes d’or, dans la sphère harmonieuse et calme où elle aimait à vivre et à rê ver loin du bruit. Malgré cette timi lité, peut-être à cause d’elle, une véri table popularité entourait le nom de cette jeune tille et sou riait à ses travaux. Les yeux des artistes étaient fixés sur cet atelier, où Ton savait que la princesse s’enfermait dès le matin quand elle n'avait pas quelque malheur à visiter et à secourir ; car c’est ainsi qu’elle commençait bien souvent ses journées. Et ni le froid, ni la mauvaise saison n’arrê taient celte santé si frêle, qui bien souvent ne trouvait de force que dans le zèle de sa charité. l.a princesse Marie mettait, si on peut le dire, de l’imagi nation dans sa bienfais ince. Elle se passionnait pour ces misères humbles, timides, pour ces infortunes solitaires, pour ces pauvretés honteuses qui rougissent du malheur comme d’un crime, et que la véritable humanité va cher cher dans l’asile secret de leur résignation et de leur souf france. Celte classe de malheureux était privilégiée dans les aumônes de la princesse Marie. Ses dons s’adressaient aussi à des misères moins désespérées, mais qui la frappaient par un côté étrange. Elle aimait à relever les faibles, prenait parti pour les victimes. Un pauvre ouvrier, employé à en lever l'herbe qui pousse entre les pavés de la grande cour du château de Saint-Cloud, et dont le corps avait été courbé en deux par quarante années de ce travail pénible, était pensionné par la princesse. Un conscrit du (>2*, apparte nant à une de ces compagnies du centre où Ton n’a d’autre ambition qu’une épaulette de laine rouge ou jaune après de longs services, s’était fait remarquer de la princesse Marie, qui assistait quelquefois derrière les vitraux discrets de sa croisée gothique aux parades commandées par le maréchal Lobau ; elle avait été frappée par son air de souffrance, d’in quiétude et d’abandon au milieu de ses camarades. La prin cesse sut qu'il était honnête homme, bon soldat, mais ti mide, un peu novice, pauvre (peut-être un peu d’esprit) ; et comme Jésus-Christ c'Io lui tendit la main, elle ouvrit pour lui son épargne ; et le jeune soldat fut placé sur I* feuille des bénéfices où la princesse Marie n’inscrivait que des malheureux. Telle était son âme ; en toute chose elle préférait le fond à la forme. Le plus brillant état-major, paradant à sa por tière, ne lui aurait pas fait oublier le pauvre conscrit du 62\ C’est ainsi que, dans une existence si souvent mêlée aux fêles splendides de la cour, l’éclat de l’extérieur ne lui a jam iis semblé un titre à si préférence et à son accueil. Elle était quelque peu fière au courtisan chamarré d’or, simple et douce à l’homme timide qu'éblouissait la lumière du pa lais; et nous pourrions citer des noms recommandables, mais habitués à se cacher dans l’ombre, que sa sagacité bienveillante découvrait dans leur retraite, distinguait dans leur obseurité, honorait dans leur modestie....

À propos

Fondé en 1789 par Charles-Joseph Panckoucke (1736-1798), éditeur de l’Encyclopédie de Diderot et d’Alembert, La Gazette nationale ou Le Moniteur universel fut pendant plus d'un siècle l’organe officiel du gouvernement français.

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