Extrait du journal

rue Rossini, brillamment éclairés, resplendissaient d’illuminations au gaz où les aigles et les N couron nés se mêlaient à de longues girandoles de flamme. L’entrée de la rue Lepelletier était disposée avec un goût parfait. La rue elle-même était ornée comme un salon : des glaces, des étoffes lamées d’argent, des fleurs ornaient l'intérieur du portique sous lequel les voitures venaient se placer entre les deux statues de la Polymnie et de la Vénus d’Arles. Les corridors et le loyer, garnis de tapis, ornés de glaces, de drapeaux et de tentures de velours, ré pondaient à la décoration extérieure du théâtre. L’in térieur de la salle avait été richement décoré : les drapeaux, les aigles portant l’inscription Honneur, Patrie, des tentures de velours brodées d’or portant au centre la lettre N, la couronne impériale et les ini tiales du Prince Président partout réunies, rappelaient les gloires passées et présageaient les gloires a venir. La vaste salle de l’Opéra offrait le rare et unique coup d’œil d’une assemblée exceptionnelle comme Paris seul peut en former, public d’élite composé des illustrations, des intelligences, des grands dignitaires, toutes les forces vives du pays. On remarquait le prince Lucien Murat, le roi Jé rôme, président du sénat, les ministres et les prin cipaux fonctionnaires. D’éclatantes toilettes et de charmants visages de jolies femmes formaient, dans cette splendide réunion, le plus noble et le plus gra cieux auditoire. D’énormes bouquets de violettes fleurissaient le re bord des loges ; les diamants pâlissaient sous les cou ronnes. Le spectacle était plus dans la salle que sur la scène. A huit heures vingt minutes, le Prince Président, attendu avec une impatience d'accueil et de bien venue, a fait son entrée dans sa loge. La salle entière s’est levée par un mouvement spontané, et l’a salué d’une immense acclamation de Vive l'empereur! Le Prince Président s’est incliné à deux reprises et s’est assis. La représentation, choisie avec soin, commençait par un acte du Philtre, qui fut suivi d’une cantate de M. Philoxène Boyer, mise en musique par M. Victor Massé. La noble parole du Prince Président : L'Empire, c'est la paix! fut saluée avec l’enthousiasme qu’elle fait naître toutes les fois ou’elle est prononcée, et l’ensemble de cet hymne de reconnaissance et d’espotr fut couvert <$B& applaudissements les plus mérités. Un acte de la Filleule des fées et un ravissant ta bleau de Stella terminèrent cette soirée solennelle, qui doit laisser un long souvenir dans les fastes de l’Opéra. La présence du Prince Président et sa bienveillante attention avaient électrisé artistes et spectateurs, et donnaient à cette représentation scénique un carac tère de fête nationale. Un incident d’une imposante étrangeté est venu augmenter encore l'enthousiasme de la salle. Une loge des secondes de face avait reçu des hôtes à la figure basanée, au burnous éclatant de blancheur; c’était Abd-el-kader et ses compagnons d’exil qui ve naient assister à la réception triomphale de leur bien faiteur. Dans un entr’acte, l’émir alla rendre visite au Prince Président, et sur son passage les fronts se dé couvraient d’un mouvement unanime; on sait res pecter en France un ennemi vaincu. Vers minuit et demi, le Prince Président quitta sa loge et remonta en voiture aux cris, mille fois répétés, de Vive l'empereur! acclamations qui le suivirent longtemps encore....