Extrait du journal

Aigues-Mortes! Rien que par le nom, les souvenirs d'histoire, les vues et les descriptions que l'on avait en mémoire, quelle vision se dressait dans l'esprit — avec quoi contraste fort le spectacle présent; mais, à travers les événements agricoles, commerciaux, qui ont modifié tou* d'un coup, si rapidement et si profondément le sol et l'atmosphère mêmes, la physionomie séculaire du pays, tout caractère, toute beauté n'ont pas sombré ; ce qui demeure, en l'état où cela demeure, peut suffire à pénétrer l'âme de la plus rude écorce, le passant le moins attentif d'un étonnement inoubliable, et satisfaire, d'autre part, la curiosité la plus subtile, la plus difficile, la plus inquiète de perfection. Si ce n'est plus ca, pour ceux qui connurent l'Aigues-'Mortes ancienne,pour les nouveaux venus, c'est bien près d'être encore ça; et ce serait ça, tout à fait, si la visite n'était troublée, çh et là, par quelque nouveauté trop brutale, qui s'apaisera avec le temps, se fondra peu a peu, se mêlera dans le passé, si l'on n'était choqué, a certains endroits, par des détails qu'il faudra faire disparaître, devant une réprobation unanime; cette hideuse maison d'école, qui dépasse de toute sa toiture, d'un atroce vermillon, l'admirable ligne d'ombre des remparts. Il est évident que d'arriver maintenant par ces champs d'une exploitation serrée, où plus un pouce de terrain, par larges espaces) n'est resté sauvage, n'impressionne plus le voyageur de la façon poignante d'autrefois! Aigues-Mortes n'est plus l'Aigues-Mortes, réfugiée entre ses murailles, hors desquelles nulle vie ne se manifestait, parmi ses étangs où s'espaçaient seules, comme un camp d'assiégeants, les longues tentes blanches des salines; ces amas de sel occupaient seuls, ça et Ih, l'étendue, aux environs de la citadelle toute fermée, dans sa cuirasse de pierre, qui, de loin, apparaît sans ouverture, avec ses portes étroites et basses; quels fossés cela lui faisait, à la cité guerrière, ces étangs à perte de vue ! D'un côté encore, si, au iieu de venir par la terre, on arrive du Grau-du-Roi, toute une portion semble s'élever des eaux mêmes, qui meurent a quelques mètres, aux assises des remparts, comme aux pieds d'une falaise....