Extrait du journal

Octobre est revenu ; accompagné d'un ■ vol de feuilles dorées, il a fait son entrée. Et voici que tout, soudain, s'est modifié. Les fleurs, les fruits, les légumes ont ' changé de formes et de couleurs, la brume glisse au fil de la Seine, s'amoncelle sous les arches des ponts, gagne l'espace, y demeure en suspens entre l'azur et nous. L'allure du passant n'est plus la «même ; les mains dans les poches, le col du par dessus relevé, il hâte sa marche et déjà courbe le dos ; plus de complets de plan teur, plus d'espadrilles ; le yo yo.seul, qui persiste à descendre et à remonter le long de sa ficelle, nous rappelle les beaux jours, les plages ruisselantes de soleil, le farniente sur le sable chaud. Aux devan tures des magasins reparaissent les objets délaissés pendant un trimestre : les bas de soie, les corsages, les robes, tous les vêtements détrônés par les pyjamas et les maillots. Mais les femmes surtout sont, dès ce commencement de mois, méconnais sables. Abandonnant leur épiderme estival, elles ont fait peau neuve comme la cigale à l'instant où elle fend la gaine qui l'em prisonne ; seulement, à l'inverse de l'in secte, elles ont blanchi et repris leur teint de lys et de roses traditionnel. Elles nous avaient laissé, pendant ces vacances, l'il lusion de vivre encore dans certains pa villons africains de l'Exposition coloniale: elles nous ramènent à présent chez nous et reprennent leurs gpstes, leur tenue de Parisiennes. On raconte qu'un évêque", a une châtelaine peu soucieuse de le -con duire au jardin où ses filles et quelques amies prenaient leur bain de soleil, ré pondit en souriant : « N'ayez pas de scru pules, Madame, je fus pendant de longues années missionnaire, j'ai l'habitude de vivre avec les sauvages. » Ces mêmes femmes, aujourd'hui, sont des civilisées. Octobre nous réservait cette surprise de nous les montrer habillées, retrouvant le rythme harmonieux de leur jupe et, né gligemment jetée sur une épaule, la four rure qu'elles ne quitteront qu'aux grands froids. Chacune d'elles a repris avec ai sance son rôle de citadine après avoir magistralement tenu, pendant la tournée' d'été, celui de naïade ou de petite sirène oubliée sur le blond rivage. Automne, automne mouillé et pourpré, tandis que là-bas, dans le Midi, se dérou lent les vendanges et que les chars ra mènent aux celliers les grappes bruis santes d'abeilles, tu allumes, ici, les pre miers feux de bois et tu rassembles, sous la lampe, la famille ! Hélas, tu n'es pas chargé que de présents ; les pauvres gens voient avec angoisse ton énigmatique sil houette sur leur seuil, car tu es le fourrier de l'hiver si dur pour les déshérités. Les oiseaux, eux aussi, sur les branches qui se dépouillent, s'inquiètent ; leurs cris plaintifs remplacent les chansons, car tu détruis, rien qu'en l'effleurant, l'aérienne toiture, le nid verdoyant de leurs amours ; enfin les enfants, quoi qu'on en dise, te reçoivent sans joie, car tu les prives des jardins, de l'espace et des jeux pour leur donner un cartable bourré de livres in connus, de cahiers blancs où il faudra écrire quelque chose, et les conduire dans de grandes bâtisses endeuillées de ta bleaux noirs, à travers des cours dont les arbres, mélancoliquement alignés, ont l'air d'être punis. Il est vrai que le soir, dans les yeux maternels penchés sur lui, le petit retrouvera le royaume enchanté dont il se croit exilé ; mais celui qui n'a pas de maman !... JEAN RENOUARD....