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Journal des débats politiques et littéraires, 16 mars 1893

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Journal des débats politiques et littéraires
16 mars 1893


Extrait du journal

rieure y aurait perdu; mais on lui aurait posé tranquillement à domicile les mômes questions auxquelles il a répondu, et la Cour aurait reçu de lui exactement les mêmes lumières. La conscience du jury aurait été tout aussi bien renseignée. Si tous les ministres sont les gardiens des lois qu'ils appli quent, ne semble-t-il pas que le mi nistre de la justice ait, à cet égard, des obligations encore plus strictes, et n'est-ce pas, de sa part, jeter un blâme indirect sur la loi, ou la taxer du moins d'insuffisance, que de se soustraire à elle par un acte aussi grave qu'une démission ministérielle? Jamais les grands ancê tres de M. Bourgeois à la chancellerie n'auraient abandonné leurs hautes fonc tions pour produire un simple effet d'au dience. Quant au Parlement, M. Bour geois aurait pu s'expliquer devant lui comme ministre aussi bien que comme député. Il l'aurait pu, il l'aurait même dû. N'aurait-il pas éprouvé quelque remords si le ministère, ébranlé par sa démission, avait été battu, et si ses collègues avaient été renversés, alors que lui, plus prévoyant, se se rait préalablement démis ? Nous sa vons bien que la solidarité ministérielle n'est plus qu'une ombre vaine; mais cette ombre si peu respectable ne devrait elle pas, ne fût-ce que pour la forme, être respectée par les intéressés qui la projettent ? M. Bourgeois, évidem ment, n'a pas songé à tout cela. Il a obéi à un premier mouvement. On voit bien les motifs qui devaient le rete nir; on ne voit pas ceux qui l'ont décidé à s'en aller. Il en a invoqués de si faibles que personne ne peut les prendre au sé rieux. Pourquoi donc est-il parti? Le plus probable est qu'il en avait assez, qu'il était excédé et à bout de forces. Il a fait une dure besogne depuis quelques se maines ; il s'en est plaint lui-même, à la tribune, avec tristesse. Lorsqu'on étouffe quelque part, on sort, sans autre raison que de prendre l'air. Ne serait-ce pas là tout le secret de l'incident? Aussitôt qu'il s'est senti dehors et libre, M. Bourgeois a repris tous ses avantages. Lundi dernier, précisément parce qu'il ne se croyait plus ministre, a été le plus beau jour de son ministère. La situation gouverne mentale restait la même, très lourde, très pesante, mais il en avait pour un moment secoué le fardeau et il se re trouvait tout agile et dispos. Seulement, il n'avait pas réfléchi à une chose, à sa voir l'extrême embarras dans lequel il laissait ses collègues de la veille. Que son départ les eût affaiblis, qui en doute? Mais ce n'était pas tout de le perdre, il fallait le remplacer ; et comment ? et par qui ? Ce n'est pas au milieu du gué, et d'un gué où l'eau est aussi bourbeuse, qu'on trouve facilement des chevaux de rechange. M. Bourgeois avait toujours été d'accord avec ses collègues ; il ne déclinait aucune des responsabilités prises en commun ; alors pourquoi les abandonnait-il, et avait-il même, moralement et politique ment, le droit de le faire? Ne devait-il pas rester à leurs côtés jusqu'au bout, exposé aux mêmes dangers et prêt à les braver avec eux? Sans doute il l'a compris, ou plutôt on le lui a fait comprendre, et il est rentré dans le giron. Le motif de sa rentrée est facile à trouver : il est rentré tout sim plement parce qu'iLétait sorti sans motif. Sa rentrée fortifie-t-elle le ministère? Il en sera après comme avant. C'est le ré tablissement de ce qu'on appelle le statu quo ante. Les choses restent en l'état ; en d'autres termes, le ministère garde le caractère de concentration républicaine auquel il s'est maintenant voué sans re tour. Quant à M. Bourgeois, sa sortie a été brillante et ne lui a pas nui 'person nellement. Nous ne savons pas s'il est aussi indispensable qu'autrefois dans un ministère, mais il reste inévitable, ce qui, en politique, a encore son prix. Francis Charmes....

À propos

Fondé en 1789 sous le titre Journal des débats et décrets, le Journal des débats politiques et littéraires retranscrit, dans un premier temps, la quasi intégralité des séances dispensées à l’Assemblée Nationale. Sous Napoléon, il change de nom pour devenir le Journal de l’Empire. Publié jusqu’à l’Occupation, le journal sera supprimé en 1944.

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