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Journal des débats politiques et littéraires, 22 octobre 1915

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Journal des débats politiques et littéraires
22 octobre 1915


Extrait du journal

L'ongle et la barbe «' Monsieur, dit la manucure, n'écoutez pas tout ce qu'on raconte. La situation est excellente, je vous le dis, et j'en sais quel que chose. La vie reprend, car mes clien tes me reviennent. Depuis un an, elles fai saient leurs ongles elles-mêmes. Passe pour la main gauche, à qui la droite rend ce service. Mais la main droite, Monsieur ! Je l'ai revue avec des ongles qui avaient poussé tout au hasard. Plus de symétrie,plus d'équilibre entre le blanc, le rose et la racine. ; des formes étranges et inégales, des petites peaux mal coupées, et des on gles aplatis qui l'ont des doigts en spatule. C'est un désastre de la guerre; mais enfin on s'est aperçu que ce dérèglement ne pouvait durer, et mon commerce redevient prospère. „ . Il y aun rythme dans les choses, et j'ad mirais comment au début d'une guerre les Parisiennes, décident de se passer de ma nucure, et copiment elles lui redemandent ses services exactement après un an, quand j'aperçus un de mes amis qui ne m étonna pas moins. Au début de la guerre, il avait laissé croître sa barbe. Pourquoi les cir constances graves que la France traversait ont-elles inspiré à tant de personnes,d'ail leurs sensées, le désir de revêtir leur men ton et leurs joues d'un poil inaccoutumé, c'est là un mystère de l'esprit. Mais il n'est pas douteux qu'il avait paru plus commode, plus patriotique, plus sévère peut-être de laisser la nature orner la face humaine d'une végétation poivre et sel. Or, par cet après-midi d'octobre, je retrouvai mon ami rasé comme un soldat anglais. « Que voulez-vous, me. dit-il, la guerre dure si longtemps qu'il n'est plus néces -saire d'en conserver les signes extérieurs. Dans les premiers temps, tout le monde portait.un brassard. En voyez-vous main tenant un seul? C'est ainsi que, pendant la marche à la mer, j'ai cru d.evqir montrer d'une façon hirsute que je ne sacrifiais plus aux soins de ma personne, et que le pays m'occupait uniquement., .Mais le temps passe. Je fais de mon ..mieux pour être utile, mais je me xelàjche un peu des aigfiès extérieurs de la sévérité. Beaucoup dé gétis font, dit-on, comme moi, et mon coiffeur ne m'a pas caché que son. industrie floris-' sait à nouveau. Il en conclut que la situa tion des armées est excellente ; il devine que nous avons une grande quantité d'ar tillerie lourde ; enfin il dit que la vie re prend. » Ainsi, pensai-je à mon tour, çhacun me sure l'univers à son aune. La manucure et le coiffeur sont contents. Cédons à ces pronostics. Ces artistes sont placés pour juger des esprits. Depuis des milliers d'années l'homme a manifesté sa joie et sa douleur par la longueur de ses cheveqx, et de cette corne qu'il a au bout des doigts, et qiii est d'ailleurs du poil coagulé. Rien ne change moins que l'espèce humaine, et si encore elle se fait tailler l'ongle et la barbe, c'est qu'elle a confiance. Y....

À propos

Fondé en 1789 sous le titre Journal des débats et décrets, le Journal des débats politiques et littéraires retranscrit, dans un premier temps, la quasi intégralité des séances dispensées à l’Assemblée Nationale. Sous Napoléon, il change de nom pour devenir le Journal de l’Empire. Publié jusqu’à l’Occupation, le journal sera supprimé en 1944.

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