PRÉCÉDENT

Journal des débats politiques et littéraires, 9 novembre 1943

SUIVANT

URL invalide

Journal des débats politiques et littéraires
9 novembre 1943


Extrait du journal

Rien de plus sage. Il convenait d'unifier les efforts de reconstrue tion et de les soustraire à l'emprise des intérêts locaux, autrement dit, d'en finir avec l'urbanisme électoral et les extravagances de' municipalités. Mais les rebâtisseurs de demain, investis de pouvoirs quasi discrétionnaires, auront-ils toujours un jugement assez sûr, un» doctrine assez plastique pour concilier le progrès et l'esthétique, 1» présent et le passé, l'ensemble et le" détail, les règles générale' et les cas d'espèce ? Ils vont modeler la physionomie de la France telle qu'elle appa raitra (du moins, nous l'espérons) à de nombreuses générations Un enlaidissement en série serait donc infiniment plus grave que l'anarchie a laquelle la loi a entendu porter remède. Aussi éprouve-t-on un sentiment de malaise devant le ton tran chant, l'excessive assurance de certains architectes officiels. Lo brance, déclare l'un d'eux, sera par force reconstruite dans un style neuf et avec des techniques nouvelles. S'agirait-il de sacrifier au « rationnel », au « pratique », la topographie atavique, l'aspect traditionnel, le cachet historique de nos vieilles cités"? L'architecte entend être maître du plan comme de l'exécution. Il ne faut plus, renchérit une revue technique, que ce soit le propriétaire qui inipost ses directives à l'architecte: c'est à celui-ci, qui est du métier, d'inter préter les besoins de celr/i-là, de le convaincre et de combattre son point de vue souvent terre à terre. On souscrirait à ces propos s'ils se réclamaient de précédent» qui fissent autorité. Mais ce serait jouer un bien mauvais tour à l'architecture officielle que de publier un « corpus » des bâtiment» qu'elle a élevés depuis un siècle : quelques chefs-d'œuvre n'y rachète raient certainement pas la mégalomanie ou la vulgarité de l'eu semble. Et, pour ce qui est de l'urbanisme proprement dit, le réamé nagement des villes de France après l'autre guerre nous a laissé, lui aussi, plus de contre-indications que d'encouragements : le cas de Reims, ville d'art irrémédiablement défigurée, en est le plus douloureux spécimen. ~ On nous dit que ces erreurs elles-mêmes ont fruits ; que la nouvelle génération d'architectes s'inspire de tous autres principes ; que la composition des organismes chargés d'élaborer les plans d'aménagement offre un maximum de garanties, etc... Nous aurions mauvaise grâce à en douter en lisant les noms des architectes ôminents qui figurent dans les comités de reconstruc tion. Mais on voudrait tout de même qu'ils montrent moins de répugnance à prendre contact avec les sociétés locales d'art ou d'histoire. De tous côtés, il nous revient que celles-ci sont systémati quement laissées en dehors des opérations qui intéressent l'avenir de leur cité. On leur fait grief d'être conservatrices à l'excès, de s'attacher à de menus détails un vieux mur, un puits, un logis historique qui compliquent les épures, bousculent les alignements et gênent la circulation. Vainement objectent-ejles que la cité est faite d'abord pour ceux qui l'habitent. Aux yeux de l'urbaniste, une place n'est qu'un carre four. Pour le citadin, elle est un peu d'histoire locale. En déplacer les arbres ou en modifier le périmètre, c'est, disperser un monde de souvenirs et d'évocations familières dont la survie constitue la personnalité d'un site. Rompre ces frêles attaches avec son passé, c'est condamner un village à l'anonymat, c'est lui enlever sa patine de bonhomie, sa vie émotive ; bref, lui créer une ambiance .ration nelle mais appauvrie. Même si les urbanistes se laissent, à la rigueur, toucher par ces considérations, il n'en va généralement pas de même des Ponts et Chaussées, qui abattent, taillent et alignent sans merci. Dans les projets de réaménagement déjà envisagés, ils font traverser des Villes comme Tours, Vendôme, Sully-sur-Loire par des routes hors d'échelle qui dénaturent les perspectives et ruinent un ordre consacré par des siècles. On peut se demander si ces percées abusives, loin d'être des œuvres de hardiesse, ne sont pas, au contraire, des solutions de moindre effort, qui dispensent leurs auteurs d'une étude plus appro fondie des conditions locales. Sur ce point, nous aurions beaucoup à apprendre de l'étranger. L'autostrade qui va de Turin à Milan" ne pénètre aucune agglomération urbaine. Voit-on les Espagnols faire abattre les deux ponts sur le Tage sous prétexte de faciliter l'accès de Tolède ? Nos ingénieurs prétendent travailler pour l'avenir. Ils partent de cette idée, un peu naïve, que l'état présent du progrès marque un point d'arrivée, un stade définitif dans l'histoire de l'habitat et de la circulation. Nous n'en savons absolument rien ; il se peut que la génération qui monte trouve à son tour absurdes les postulats dont nos urbanistes se seront inspirés pour rebâtir la France. Soyons donc modestes. Une ville, un village, c'est une compo sition du temps et de. l'espace, une projection du passé sur le présent. Nos cités ont un rythme, une vibration, qui résulte des contradictions souvent imperceptibles du goût et de la mode à travers les siècles. Vouloir qu'elles n'appartiennent qu'à un seul temps, le nôtre, celui du mécanisme et de la « série », ne serait pas moins arbitraire que leur relégation perpétuelle à l'état de villes-musées ou de témoins du passé. Au fond de ce débat, il y -a un problème de sensibilité. Plus l'urbanisme codifie ses règles et durcit sa doctrine, plus il risque de s'écarter de la spontanéité, de l'instinctive sûreté du jugement qui inspira les grands œuvres de jadis. Car ces néologismes : « régionalisme », « urbanisme », expriment des choses fort anciennes, que nos ancêtres sentaient si naturellement qu'ils n'éprouvèrent jamais le besoin de leur donner un nom....

À propos

Fondé en 1789 sous le titre Journal des débats et décrets, le Journal des débats politiques et littéraires retranscrit, dans un premier temps, la quasi intégralité des séances dispensées à l’Assemblée Nationale. Sous Napoléon, il change de nom pour devenir le Journal de l’Empire. Publié jusqu’à l’Occupation, le journal sera supprimé en 1944.

En savoir plus
Données de classification
  • bonnefoy
  • schleier
  • bon
  • lawrence
  • etranger
  • albert mousset
  • fernand laurent
  • cler
  • marquet
  • bonne
  • vatican
  • rome
  • bordeaux
  • france
  • kiev
  • berlin
  • dniepr
  • paris
  • nikopol
  • vichy
  • havas
  • cologne
  • comité d'alger
  • fédération républicaine
  • parlement
  • eglise catholique