Extrait du journal

Méfions-nous des mots : ils déflorent les idées les plus saines. Il est fâcheux que la corporation, le corporatisme, la collaboration des classes, l organisation professionnelle aient servi de thèmes à tant de discours médiocres, à tant d articles filandreux. Notre imagination s’use vite, les mots l endorment au lieu de l’éveiller ; à force d’écouter et de lire, nous nous contentons d’une réalité de « seconde main » ; nous sommes portés à croire qu une chose dite est une chose faite. Le retour à la terre, par exemple, n’est encore que l’ébauche d’un projet, mais beaucoup jureraient que les villes se dépeuplent et qu’à la campagne on refuse du monde. La révolution nationale, on en parle : l ancien franc-maçon la célèbre en termes émus et le facteur retraité la juge nécessaire. On en parle beaucoup, on en parle trop. Elle naîtra avec de la barbe au menton. Si l’on n’impose pas silence aux bavards, elle sera la révolution des académiciens, des universitaires et des sénateurs. Le bonnet phrygien de nos aïeux de 89 sera remplacé par le bonnet de nuit. Et bientôt l’on nous dira, avec un bâillement à peine dissimulé : « L’ordre nouveau, monsieur, mais c’est de la vieille histoire ! »...