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La France, 4 novembre 1912

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La France
4 novembre 1912


Extrait du journal

Nous ne saurions prétendre exclure i'industrie électrique de toutes nos chutes ; mais nous ne saurions, par contre, admettre que toutes, sans exception, lui soient sacrifiées. Or, s’il en existe, dans la Franche-Comté, une qui doit être sauvée, c’est la source ou récurgence de la Loire. Plusieurs de nos confrères ont bien voulu signaler la ruine ou, pour mieux dire, la suppression dont est menacée celte curiosité, cette beauté naturelle, honneur de notre pays ; il nous paraît utile de préciser pour qu'on puisse voir à quel droit d’user et abuser restent pneore livrés nos sites, malgré la loi de 190Ô. Ce qu'on appelle source de la Loire tst, en réalité, la résurgence d’une partie des eaux du Doubs supérieur et de divers cours d'eau souterrains. La Loire sort toute formée en rivière su perbe qui fait mouvoir des moulins dès son origine ; sa première cascade tom be d'une grotte taillée dans un « bout du monde » rocheux dont l’abrupt dé passe cent mètres ; puis la Loire se précipite, par d’autres cascades, parmi les escarpements, les blanches mu railles et les arbres des profondes gor ges de Nouailles. avant de baigner le bas de Mouthier-Haute-Pierre, bourg pittoresque, ancienne résidence du car dinal de Granville, riche en souvenirs d’histoire et en restes archéologiques. Au point de vue hydrologique, la résurgence de la Loire appartient à la catégorie qu’on appelle vauclusienne ; or, si le souvenir de Pétrarque vaut la source du Comtat l’honneur de voir son nom servir de désignation gé nérale, celle de la Loire est plus puis sante et se montre dans un cadre plus grandiose. Savants comme touristes la connais sent. et non» sommes certain, en la entant, d’évoquer chez beaucoup, de charmants et profonds souvenirs. Beaucoup d’ailleurs n’ont pas fait que passer. La ïxffrc cl Mouthier en retinrent qui établirent leur résidence d’été dans le pavs. Beyer, par exem ple. l'auteur de Siqurd. De toutes ces beautés, la principale cl la plus rare disparaîtra-t-elle de par la volonté d’un propriétaire qui, 6 iro nie ? est de nationalité suisse ? Fn Suisse, la loi établit le droit de la nation sur toutes les chutes d’eau, comme sur la houille ou les minerais ; en France, si nous avons séparé, en 1810, la propriété du sous-sol de celle du sol, nous n’avons pas encore réussi à voter une disposition sur le pouvoir d’eau ; et pourtant les premiers pro jets ont été déposés en 1900 ! Tous les intérêts se sont coalisés contre eux ; on a fini par les diviser en deux : l’un sur les rivières flottables et navigables relevant du ministère des travaux publics : le second sur les autres, relevant du ministère de l’agri culture : dualité fort peu pratique et à laquelle le retard n’est pas étranger. Nous voilà donc les derniers parmi les nations civilisées, qui toutes ont su faire prévaloir leurs droits depuis long temps sur les forces naturelles. Ce qu’une conception trop tradition nelle de la propriété a empêché, le souci de nos paysages, source de ri chesse commune à tous, agrément au quel tous doivent avoir part, nous amènera-t-il à le réaliser? Nous avions fondé les plus grandes espérances sur le projet de mon ami et collègue Beauquier, relatif à la pro tection des sites, voté en 1900. Mais, bêlas ! on lui a, malgré son auteur, re tiré toute sa force en édictant que, pour classer une beauté naturelle, il faudrait l’agrément du propriétaire. Dans le cas présent, comme dans beaucoup d’autres, on l’a demandé, mais on ne l’a pas obtenu. Représentez-vous maintenant ce qu’on est en train de faire. La nappe souterraine forme un profond lac bleu sous ta grotte-source ; elle s’en échappe par une première cascade, la plus belle. Or, un énorme tuyau de 2 m. 50 de diamètre va absorber le lac, absorber foute l’eau de la cascade, et comme il mesure 150 mètres de long, ce n’est pas seulement la chute supérieure, mais les suivantes qui se trouveront desséchées. Au lieu d’une eau écumante, le visiteur ne trouvera plus que des cailloux. Reconnaissons que le propriétaire, auteur des travaux, propose de laisser couler l’eau pendant les arrêts de l’u sine projetée, c’est-à-dire les diman ches et fêtes, tout du long, et enfin les jours ouvrables, de midi à deux heu res. C’est mieux que rien, mais quelle faible consolation ! La commission des sites, consultée, émet le vœu qu’un débit minimum de 300 litres par seconde soit, en tout temps, maintenu sur la chute de la source, et que les travaux soient inter rompus jusqu’à ce que l’administration ait répondu à la demande présentée par le propriétaire. Malheureusement, des prescriptions analogues proposées dans an cas pré cédent, celui au Lison, n'ont pas été...

À propos

Lancée en 1862, La France était un quotidien suivant une ligne éditoriale à la fois libérale et favorable au Second Empire. Durant la Commune de Paris, le quotidien publia également une édition départementale imprimée à Tours. En 1874, Émile de Girardin, fondateur de La Presse et grand entrepreneur médiatique également proche d’Adolphe Thiers et de Gambetta, rachète le journal. Sur quatre pages, on y écrit de longs articles, en plusieurs parties, qui s’étendent parfois même sur plusieurs jours.

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