Extrait du journal

A Paris, il y a deux siècles. Une foule se presse sur le quai du Louvre, le quai Théatins, le pont Royal, curieuse, sceptique. Le marquis de Bacqueville n'a-t-il pas annoncé qu'il traverserait « en vol la rivière Seine » pour venir se poser dans le Jardin des Tuile ries ? Tiendra-t-il se promesse ? Ce gentil homme excentrique oont on raconte maintes folies, n'a pas fini d'étonner les Parisiens. Cette dernière extravagance est dangereuse ; il se cassera le cou, certainement. Ajoutez qu'il n’est plus jeune : soixante-deux ans ! A cet âge, qui devrait être l'âge de la raison, cou rir une telle aventure ! Aucun de ces innombrables badauds attendant, le nez en l’air, ne se doute que le marquis de Bacqueville, ce fou, est peut-être un précurseur... Il apparaît enfin sur la terrasse de son hôtel qui domine le pavé de quinze mètres. Il va procéder à sa toilette d’homme-oiseau. Un valet porte avec précaution deux longues ailes en taffe tas, « semblables à celles que l'art chré tien prête aux anges », constate un té moin. Ce n’est pas une plaisanterie. Ces ai les « de vastes dimensions » sont ajus tées au buste du marquis. Le valet s’af faire. M. de Bacqueville semble plus mince, dans son gilet de satin blanc qui brille au soleil, encadré de ses ailes géantes. Il est prêt. Il s'approche du bord de la terrasse. Des milliers d'yeux rivés sur lui, guettent chacun de ses gestes. Perçoit-il ce halètement de la foule, ce cri étouffé lorsqu’il enjambe le bord ? Il se jette dans le vide. Les ailes battantes, à grands coups réguliers, soutiennent le corps témérai re jusqu'au milieu du fleuve. Les plus sceptiques sont convaincus : le marquis de Bacqueville vole... Les fous ont quel quefois raison ?...