Extrait du journal

L’artiste qui voudrait figurer symboliquement l’année 1894 devrait prendre une femme couronnée d’immortelles et enveloppée de long voiles noirs. Comme le fut 1883,1891 a été, en effet, une année de morts illustres et de deuils nationaux. Au cours de ces douze mois qui viennent de s’écouler, la France a eu à pleurer deux de ses plus nobles enfants, la République deux de ses plus dévoués et de ses plus utiles serviteurs : M. Sadi Carnot, président de la République, lâchement assassiné à Lyon par l’anarchiste italien Caserio Santo, et M. Auguste Burdeau, président de la Chambre des députés, enlevé, comme autrefois Gambetta, dans toute la vigueur de l’âge et dans toute la force de l’intelligence par un mal subit et implacable. On a vu également disparaître, plein de jours qui avaient été trop longs, un homme qui avait été pendant vingt-cinq ans une des grandes figures du siècle, qui avait été surnommé le < Grand Français », non sans raison, car il avait, à un moment donné, véritablement incarné la France aux yeux de l’étranger. La France a subi encore un deuil cruel au delà de ses frontières par la mort du magnanime souverain qui, le premier après les désastres de l’Année terrible, lui avait tendu une main amie, et avait salué son relèvement matériel et moral en faisant à ses vaisseaux et à scs marins un accueil inoubliable....