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La Libre Parole, 17 octobre 1910

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La Libre Parole
17 octobre 1910


Extrait du journal

A la campagne. Il pleut. Brusque ment la pluie, froide et serrée, a succé dé à la plus douce et plus ensoleillée journée. Point de vent, le bruit ténu de l’eau qui tombe, l’horizon tout embué ; c’est infiniment triste. Je remonte de la gare, le cœur serré. Ce matin les journaux, arrivés tout de même de Paris, m’ont annoncé la grè ve, votée depuis hier, et je suis allé voir. Il y a deux mois qu une affiche était venue là, sur un pan de mur, avertir le bon public des pires mal heurs, mais à la voir si seule, si iso lée, à l’ombre d’un buisson tout fleuri, dans le bruissement des branches et le chant des rouges-gorges, elle pre nait un petit air bonasse qui démentait son contenu. M’a-t-elle trompé ? Non. La grève n’est pas encore là. Un train est passé, conduit par un mé canicien à brassard rouge. Le chef de gare en arbore un blanc, avec un fin galon d'or, dont il ne semble pas plus lier ; et le facteur, l’homme d’équipe, comme honteux, remettent dans leurs poches ceux qu ils avaient sortis juste au passage du train. Ils me regardent et lèvent les épaules ; leur moue est éloquente et prudente. Un ouvrier de la voie arrive et, de son gousset, avec un geste hésitant, tire quelque chose de jaune, son nouvel insigne. Alors tous ces hommes s’observent et on a cette perception très nette : ils répon dent provisoirement à l’ordre de mo bilisation ; ils ne font pas grève, ils l’ont pourtant déclarée dans leurs cœurs, aussi fermement que les cama rades de Paris. Selon les événements ils agiront ; à trois cents kilomètres au fond de la province, il faut « voir venir » ; si le mouvement ne gagne pas, à quoi aurait servi un geste pré cipité, mais s’il gagne... Deux carriers surviennent. Tout de suite, ils parlent de l’événement : la convocation n’est pas légale ; les tra vailleurs n’ont plus qu’un moyen et qu’un droit : la grève. Mais un groupe s’est formé ; un voyageur proteste qu’il n’est pas per mis d’arrêter un service public. Alors, le chef lui-même, n’y tenant plus : « Oh ! vous croyez, clamc-t-il, qu’on aura passé ses jours et ses nuits à un service éreintant pour n’avoir pas même le droit de* réclamer ? Pourquoi la Chambre a-t-elle voté des augmen tations au réseau de l’Etat et comment se fait-il que les petits n’en ont pas vu un sou ? Je ne parle pas pour moi, et d’ailleurs je prends ma retraite ; je n’ai plus quarante-cinq ans, allez, et mon brassard s’est trompé d’adresse. Jamais je n’ai fait de service et me voici bombardé sous-lieutenant ; et mon voisin, qui a cinquante-cinq ans, mobilisé aussi ! De la farce, tout cela. Si tout le monde marche, je marche ; vive la grève ! » Et il court à l’appareil B réguet qui le sonne, et les employés volent aux signaux : un train arrive. Machinale ment, ils assurent le service. Mais je suis fixé. On peut majorer tes statis tiques officielles de la grève ; morale ment, elle est là....

À propos

Fondée par le polémiste Édouard Drumont en 1892, La Libre Parole était un journal politique avançant des prétentions « socialistes », quoique son anticapitalisme populiste marqué se nourrissait essentiellement de liens présumés entre le capital et la communauté juive. Le journal répandait un antisémitisme virulent à travers de brutales diatribes et des unes sensationnalistes dénonçant quotidiennement des « conspirations ».

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