Extrait du journal

ment, il est des gens chez qui cette horreur de la contribution pécuniaire aux charges publiques se révèle d’une façon particuliè rement effrontée et naïve. Je me permettrai de citer comme un modèle du genre la let tre que m’a adressée un lecteur à propos de ma Causerie d’avant-hier sur le paiement des frais du culte. Après avoir donné son approbation chaleureuse à mes conclusions, sur le point spécial du budget de chaque culte assuré par les seuls fidèles, l’auteur de la lettre élargit le terrain du débat. A son avis, chaque citoyen ne devrait payer que ce qu’il consommerait réellement. Et sc citant en exemple, lui, qui ne consomme rien, il estime qu’il ne devrait rien payer : «Je ne suis jamais allé à Paris, dit-il, et par conséquent je ne suis jamais entré à l’Opéra, à la Comédie-Française, dans les Musées, etc., et cependant je contribue à l'entretien de ces théâtres, de ces mu sées, etc. Je ne voyage jamais, et pourtant je paie ma part dans les subventions ou garanties que l'Etat verse aux diverses Compagnies de navigation ou de chemins de fer. N'étant pas marié, ni de la main droite ni de la main gauche, je n’ai pas d’enfant, ce qui ne m’emj»êche pas de casquer pour les écoles, lycées, Facultés, etc. Homme pai-ible, je n’ai de différends avec personne ; pourquoi me force-t-on à acquit ter des frais d’une justice dont je n’usc pas? Je ne possède rien, je n’ai donc pas peur des voleurs, et partant pas besoin de gen darmes. Quant à ma peau, j’en fais si peu de cas que je crois inutile d’en parler. Comme vous voyez, dans la limite de me» moyens, je contribue à l'entretien d’un tas de choses dont je ne me sers pas ; est-ce juste? Par contre, comme j'ai l’habitude de manger, de boire, de me vêtir, l'Etat, dans sa sollicitude, trouve moyen de placer des gabclous à la frontière pour faire payer des droits d’entrée au blé et à la viande que je mange, au vin que je bois, aux laines et aux cotons dont je me recouvre. Si c’est une compensation, je la trouve mauvaise. Et vous ? » Moi, je la trouve excellente 1 Entre nous, j'ai tout d’abord soupçonné que l’auteur de cette lettre avait voulu me pousser une sim ple colle et me démontrer par l’absurde qu’il aurait fallu maintenir le budget des cultes. Mais, résolu à me conformer au précepte : « No prenez rien au tragique, mais prenez tout au sérieux, » j'ai fait un effort pour envisager de c<‘tte façon les déclarations de mon correspondant, et quand j'ai vu qu'il n'usait ni des théâtres, ni des musées, ni des écoles, ni du mariage, ni du concubinage, ni de la paternité, ni des tribunaux, ni de la police, ni des chemins de fer, ni des bateaux, ni même des route*, j’en ai conclu, soit dit sans le désobliger, que j'avais affaire à une huître. Bientôt détrompé par l’aveu de «es besoins de boire”, de manger, de se vêtir surtout, chose à quoi les huîtres ne songent guère, je l’ai replacé à son rang dans l’échelle des êtres, qui est celui des contribuables malgré eux. Mais, en vérité, si les droits de douane gê nent ce singulier citoyen qui sait si bien sc soustraire aux obligations et aux charges nationales, je lui conseille d’aller vivre à l’étranger. Son absence ne sera pas une grande perte pour son pays I SI MP LICE....