Extrait du journal

Arcaclton, 8 avril. Au risque de répéter ce qui fut déjà dit par mes confrères en chronique, et de faire ici figure de pâle copiste ou d’éhonté plagiaire, je cède au plaisir de rappeler ici les vers si connus de F. Coppée : Mignonne voici J'avrll, Le printemps revient d’eau, Tous les nids sont en querelles. L'air est pur, le oh?l léger. Et partout l'on voit neiger Des plumes de tourterelles... Elle est de saison, la citation, mais non pas d’actualité. Ce n’est fichtre pas des plumes de tourterelles qui sont tombées un peu partout en ce joli mois d’avril 1911, c’est de la vraie neige, bien authentique et bien glacée, et grâce à elle les premiè res floraisons et les premières verdures printanières ont pu durant quelques heures dans nos plaines méridionales, durant quel ques jours dans les provinces du nord et les pays de montagne, paraître ensevelies dans un tombeau d'argent. Il pourra coûter cher aux cultivateurs, ce « tombeau d’argent », et c’est là le re vers de la médaille, dont l’avers pittores que peut séduire les artistes... et les Es quimaux. Pour moi, il ne me séduit guè re, je le déclare, et pour toutes sortes de raisons hygiéniques, économiques et au tres, quand j’ai vu tourbillonner l’autre jour devant mes yeux des flocons de neige, assez rares heureusement, j’ai envoyé au diable cet anachronique caprice de la Nature, car j’aurais préféré mille fois voir tomber des plumes de tourterelle ou môme des tourterelles plumées. , • Le fait est qu’elle s’annonce mal, cette année 1911. Déjà, elle mérite le nom d’année nageuse, et année neigeuse, en avril surtout, ne veut point dire année pommeuse pour les buveurs de cidre, ni année vineuse pour les buveurs de vin. Avril a souvent de ces coups de traîtrise, de ces refroidissements subits qui désolent les agriculteurs, mais il s’en tient d’ordi naire aux simples gelées. Il faut «ru'.avril Jaloux brûle «le ses xe’écfl Le beau pommier couvert de fleurs étoilées, Nv'ijÿo odorante du printemps, a dit Victor Hugo. Le « Il faut » du poète est un peu risqué. Je ne vois pas pour moi In nécessité des gelées d’avril. Quand elles arrivent, il faut bien les accepter, mais c’est tout. Mais ne soyons pas trop pessimistes. Les journaux n’ont-ils pas publié à ce pro pos des notes rassurantes, au moins pour notre département. Les vignes de la Gi ronde n’ont pas trop souffert, paraît-il, des dernières gelées. Nous pouvons donc es pérer encore une belle et bonne vendange. Dès lors, ne nous faisons pas trop de bile. Quand le vin de Bordeaux va, tout va. Ce vin de 1911 fera-t-il oublier la gloire de son aîné de cent ans, le fameux vin de la comète de 1811, dont la renommée est toujours debout après un siècle, et dont quelques bouteilles subsistaient encore il y a quelques années à peine dans un cel lier privilégié ? Vendues, il y a quelque trente ans, au prix de trois cent dix francs la bouteille, elles n’étaient certes pas à la portée de tous les gosiers. On a dû pour tant les boire depuis lors... ou bien les vider pour jeter le contenu au ruisseau, car les « privilégiés » qui ont été admis à déguster cet illustre breuvage s’accordent à dire qu’il était passé à l’état de confiture insipide et bourbeuse. Si donc, par impos sible, le vin de 1911 possédait les mêmes qualités que celui de 1811, je féliciterais de bon cœur nos vignerons, et leur con seillerais de ne pas attendre cent ans pour le boire....