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La Petite Gironde, 30 novembre 1907

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La Petite Gironde
30 novembre 1907


Extrait du journal

Le Chardonneret. Ce jour-là, le bon roi René s’était ré veillé d’assez maussade humeur. Malgré le printemps qui riait aux losange» de la fe nêtre, il se sentait vieux, désabusé et vide d’ardeur. Une petite lueur dansait devant «es yeux : c’était sa vie qui lui apparaissait réduite à ce rien, prête à s’évanouir devant l’irréel ; sa vie déjà longue, traversée de tant de péripéties contraires, de luttes, de batailles, de triomphes et de défaites, d’a mour et de gloire. De tout cela, que lui restait-il maintenant ? Dépossédé de ses Etats, retiré dans son comté de Provence, il achevait d’user ses jours dans ce palais d’Aix où l’entouraient l’affection du peuple et la vénération des artistes qu’il protén't. Lui-même musicien, peintre, poète, i plaisait à cultiver tous les arts. Que n’était-il né dans une de oes chaumières provençales, dans un de ces mazets entou rés d’oliviers et de vignes, où la vie s’écou lait sans secousse, bercée par la chanson du vent et par la stridulation des cigales 1 Sou vent, dans ses promenades solitaires, H s’arrêtait devant les seuils, attendri par la vision rapide d’une mère penchée aur le berceau de son fils, ou de deux jeunes époux assis à côté l’un de l’autre, muets, les doigts enlacés et le front nimbé de joie. Ah 1 sa couronne d’Anjou et de Sicile, il l’aurait bien donnée, quand il la possédait encore, pour cette auréole mystérieuse du bonheur que jamais, lui, il n’avait possédée, en dé pit de son coeur si vibrant I Ah 1 être ignoré du monde et avoir devant soi deux prunel les rayonnantes et limpides où se reflète votre rêve, comme le ciel se mire dans Veau sans pli des étangs 1 Ah 1 entendre la même voix caressante au réveil et le soir dans l’ombre, quand les yeux se ferment et que l’âme court au sommeil I Ah 1 se sentir aimé, ae sentir double, sa sentir étemel 1 Ceux-là seuls possèdent ce privilège divin qui connaissent la emple douceur d’hymen. Voilà ce que se disait le bon roi René, tandis que au fond de son lit à créneaux il regardait la lumière entraîner dans son tourbillon de la poussière d’êtres, des my riades d'atomes invisibles. Des cloches son naient. Le bleu du ciel craquelait sous l’a verse puissante du soleil. Et du rire, dis persé dans l’aii^ répondait au légêr tinte ment des cloches. Alors le vieux roi étira ses bras, se signa largement et enfila ses chausees sans l’aide d’aucun valet. Il descendit dans la rue. Des petits enfants familiers lui dirent bonjour au passage. Devant la vieille ^ église de Saint-Jean, U rencontra un cortège de gens qui sortaient sur le portail gothique. C’était une noce. Le marié et la mariée, selon la mode du pays, s’avancaient les derniers. Brune, l'œil vif, la taille élancée, la jeune épousée portait le petit béguin de dentelles et le corsage échancré sur le bénitier des seins ; lui, fier de l’avoir menée à l’autel, se penchait un peu et souriait avec com plaisance. En apercevant le vieux roi, ils lui firent un salut profond, et l’épousée^ du bout de ses doigts, lui envoya un baiser, comme on effeuille une rose. *% Trois ans avaient passé. Dans cet inter valle, le vieux roi, ayant rencontré une pastourelle selon son cœur, s’était marié, lui aussi. Il était heureux. Philosophe et régulier dans ses habitudes, tous les jours il sortait au soleil et rentrait à l’ombré de la route, tandis que sa jeune femme l’at tendait, fidèle, au logis. Un soir, H avait prolongé sa promenade fil us longtemps que de coutume. C’était 'heure du crépuscule, cette heure d’une tristesse si aiguë dans les villes et oui dans la campagne- s’empreint d’une inef-able dou ceur. Une teinte d’un rose lilas couvrait uniformément les champs et les vignes. Les maisonnettes basses, entourées de vieux oli viers, devenaient claires et transparentes comme si leurs pierres amollies sa fussent liquéfiées soudain. Et le vieux roi souriait dans ta barbe blanche. Il rêvait de toutes sortes de choses belles et heureuses. Il rêvait de faire une peinture aussi magnifique que le Buisson ardent, dont son ami Nicolas Froment ve nait, sur son ordre, d’enrichir la cathédrale, et à laquelle il avait travaillé lui-même an secret ; il rêvait d’écrire un nouveau poème en l’honneur de sa pastourelle ; il rêvait de composer une musique plus ravissante que celle dont il avait écrit les neumes pour accompagner la grande procession du Corps de Dieu» travers les rues de la ville. Quoi encore? Il rêvait qu’il était tout-puissant, bienheureux, se trouvant, malgré son vieil âge, dans l’état de grâce de l’amour. Mais tout à coup, un bruit discordant l’arracha à sa sagesse. Une voix d’homme et une voix de femme mêlées ensemble s’invectivaient,...

À propos

Au début simple déclinaison à prix modique du journal La Gironde, La Petite Gironde devient de plus en plus autonome à la fin des années 1880, lorsque sa diffusion dépasse – et de très loin – celle de son vaisseau-mère pour atteindre les 200 000 exemplaires à l'orée de 1914. Centriste modérée à l'origine, sa ligne éditorialse se droitise au fil des ans, jusqu'à devenir proche de celle de L'Action française dans l'agitation de la Première Guerre mondiale. Sans surprise, le journal sera collaborationniste en 1940, puis interdit en août 1944.

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