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La Presse, 9 mai 1891

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La Presse
9 mai 1891


Extrait du journal

Dans tous les pays, le problème social se présente sous deux aspects bien distincts : 'agraire et industriel. En France, où la question agraire n'est pour ainsi dire pas née, et dans la plupart des au tres nations, où elle est à l'arrière-plan, c'est la question industrielle qui semble contenir tout le problème social. Cependant, il ne faut pas s'y tromper. Der rière les bataillons du prolétariat industriel, il Si a les masses du paysannat agricole qui sont oin, actuellement, de partager les aspirations et les idées des socialistes de l'ateiier, du chantier ou de la mine. La Révolution de 89 ne fut réellement so ciale que pour une classe : la classe des pay sans pour lesquels elle débarrassa la terre des servitudes et des privilèges qui en ren daient la possession ou précaire ou difficile. Sans doute, la Révolution de 89 n'a pas — — comme on l'a cru communément — conféré la propriété terrienne aux paysans. Avant 89, les paysans étaient propriétaires ; ou, du moins, la portion du sol par eux possédée et exploitée était aussi grande, sinon davan tage, qu'elle l'est aujourd'hui. Mais cette portion du sol, rien, au fond, ne l'assurait d'une façon certaine, absolue, entre lés mains calleuses qui la travaillaient. Le roi n'était-il pas le maître de la vie et des biens de ses sujets; et, au-dessous du [roi, les nobles ne gardaient-ils pas, sur les morceaux de terre détachés de leurs domaines propres, et occupés par le vilain, des droits réels qui, en somme, soit directement, soit indirectement (par la violence, par la fraude, ou par les exactions et les charges arbitraires), pouvaient équivaloir et aboutir à la confiscation ? La Révolution de 89 n'a pas donné le droit de propriété aux paysans. Mais elle l'a con solidé en leurs mains. Tout paysan a le droit de devenir propriétaire, et son lopin, si petit qu'il soit, jouit des mêmes immunités, est aussi inviolable et sacré, confère à son pos sesseur un titre aussi souverain que les châteaux, forêts et prairies des seigneurs de la naissance ou de la finance. Le manant qui n'a qu'un sillon se sent, et est véritablement, en droit, l'égal d'un Montmorency ou d'un Rothschild. 1 Ainsi, dans une certaine mesure, la Révolu tion de 89 a émancipé socialement le paysan. En somme, chaque paysan à le droit, l'espoir, la possibilité et même la facilité d'acquérir, non pas l'outil essentiel de son travail (car c'est une erreur économique de considérer la terre comme un instrument de travail ; la terre, j'entends la terre agricole, celle qui sert spécialement à l'exploitation rurale, est la matière première sur laquelle s'opère le tra vail humain et de laquelle il tire des produits, matière première immuable, intransformable, fonds sur lequel on crée des formes) ; chaque paysan, dis-je, a la facilité d'acquérir la ma tière essentielle de son travail. Si l'on donnait aux mineurs la propriété de tous les puits où ils travaillent, pourrait-on dire qu'on leur a donné les instruments de leur travail? Non, assurément, les instruments de leur travail, ce sont les engins mécaniques, les outils de toute sorte, depuis l'humble pio che qui sert à détacher le charbon jusqu'à la puissante locomotive qui le transporte. Uins trument de travail de l'ouvrier industriel, c'est l'usine, l'atelier, le chantier, pris en bloc; l'instrument du travail du paysan, c'est son ou tillage encore si primitif, et si insuffisant, que les progrès du machinisme moderne finiront par lui enlever des mains, comme ils ont en levé des mains de l'ouvrier industriel ses ou tils personnels, jadis suffisant pour lui per mettre d'exercer son métier. Ainsi apparaît l'inégalité profonde entre le paysan et l'ouvrier. Le pavsafftpossède, ou du moins peut assez aisément posséder le fonds nécessaire à l'exer cice de sa profession ; il possède aussi les instruments nécessaires à son travail, car, tant que la propriété agricole reste morcelée, divisée en petites exploitations, les instru ments suffisants pour l'exploiter sont facile ment acquérables : une charrue, une herse, un cheval ou un bœuf, quelques menus outils, — voilà son matériel industriel au complet. En fait, il n'est guère de paysans qui ne pos sèdent leur maison et un bout de terre avec. Sans doute,beaucoup,la majorité peut-être, ne pourraient vivre du seul produit de leur pro priété, et sont obligés de louer leurs services, comme fermiers, métayers ou domestiques. Mais remarquons que, dans les deux premiers cas, ils ne sont pas dans la condition servile du salarié, puisque en réalité, en tant que fer miers, ils exploitent pour leur propre compte, et en tant que métayers ils sont associés au maître du fonds; et dans le dernier cas, s'ils sont salariés, ils sont aussi propriétaires, ce qui atténue fort leur dépendance. Ajoutons que le paysan exproprié de toute possession foncière et réduit à vivre unique ment de salaires, ne reste guère au pays, et va grossir les rangs du prolétariat des villes. Cette émigration continué des prolétaires ru raux a pour conséquence de maintenir à haut prix les salaires, au bénéfice de ceux qui restent. ,Voilà pourquoi le prolétariat agricole ^existe pas actuellement, ou n'existe presque pas, en France ; et pourquoi les travailleurs...

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La Presse, fondé en 1836 par Émile de Girardin, fut l’un des premiers grands quotidiens populaires français.

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