Extrait du journal

Lorsqu’on a quelque valeur par soi-même et surtout une certaine force de résistance, il n’y a pas de meilleure école que l’intimité d’un homme supérieur, qui vous initie à ses méthodes, à ses procédés de travail, et dont l’exemple est un enseignement perpétuel, le plus efficace de tous. Paul Janet, Ernest Bersot, d’autres encore ont travaillé chez Victor Cousin et ne s’en sont pas plus mal trouvés. Augustin Thierry dut exercer sur son jeune secrétaire une très-bonne influence. L’auteur des Récits mérovingiens , qui, en dépit des chicanes et des clameurs, reste encore, à l’heure qu’il est, notre premier historien, était un esprit très-net, trèspénétrant, nullement tourné à l’utopie, aimant à se rendre compte des choses et n’admettant pas qu’il y eût un abîme entre le monde des idées et le monde des faits. Disciple de SaintSimon, il s’était éloigné de lui lorsqu’il avait vu le réformateur s'effacer devant l’illuminé et la chimère remplacer la critique. Ainsi désabusé, Thierry dut être un guide excellent pour le studieux rêveur qui travaillait à ses côtés. Il mit de l’ordre dans cet esprit où jusqu’alors les notions s’étaient entassées, à la foule plutôt qu’à la file, pour parler comme Montaigne. Surtout il accoutuma son collaborateur à ne point mépriser la réalité et à vérifier rigoureusement les théories d’après leurs conséquences pratiques. Ce que peut-être il ne lui enseigna pas suffisamment, ce fut l’art d’insinuer les idées, de les présenter avec ménagement. Chez Wallon, il acheva le savant, mais ne put parvenir à façonner un diplomate. On s’en aperçut bien lorsque parut, en 1854, dans la Revue de Paris, le fameux article sur le Vrai, le Beau et le Bien1 de Victor Cousin....