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L’Aube, 19 octobre 1951

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L’Aube
19 octobre 1951


Extrait du journal

LE BRAS SÉCULIER L’AUGMENTATION du prix du lait, du sucre, du riz, de l'huile — encore qu’elle fût prévue — 11e va pas manquer de surprendre et de provoquer un nouvel accès de mauvaise humeur. On veut bien croire que ces hausses sont justifiées. Mai> les revendications des salariés ne le sont-elles pas ? Et pourquoi l'Etat donne-t-il satisfaction aux producteurs de lait, aux betteraviers, aux fabricants d'huile — tandis qu'il refuse d’entendre les professeurs, les cheminots, les métallurgistes ? Ce sont là des questions qui sont sur toutes les lèvres et il faut avouer qu'elles nous laissent perplexes. Certes, il est facile de chiffrer les répercussions, sur le Budget et l'Economie nationale, de l'ensemble des revendications des salariés. Elles seraient catastrophiques. Ainsi, lorsque le gouvernement aug mente d'un franc le salaire interprofessionnel minimum garanti, il s'impose à lui-même quatorze milliards de dépenses nouvelles. Il im pose donc à la nation quatorze milliards d'impôts nouveaux. Ce simple exemple donne une idée des difficultés financières, économiques et, par conséquent, politiques qu'une hausse inconsidérée des salaires ne pourrait manquer de provoquer. Mais n’est-il pas étrange que le raisonnement, irréfutable lorsqu’il est appliqué aux salariés, semble perdre toute valeur démonstrative dès qu'on l'oppose aux manœuvres dis producteurs qui pèsent de tout leur poids sur les prix ? La seule explication possible de ce phénomène — hélas ! trop connu — réside dans l'activité de ces coalitions d'intérêts dont la prééminence sur l'intérêt général est bien le symptôme le plus inquié tant de la faiblesse de l'Etat. Remarquons que les intérêts qui, pour mieux se défendre, se coa lisent 11e sont pas forcément, en eux-mêmes, illégitimes. Ce qui est inacceptable, c'est qu'usant d'une puissance d'autant plus forte* que le régime économique, dans ses structure* et son organisation interne, accuse des signes de faiblesse et d'incohérence, ces intérêts puissent prévaloir contre l’intérêt général presque sans coup férir. Que voyons-nous en ce moment même ? La sidérurgie s'oppose au plan Schuman. Ia* rail et la route se disputent la clientèle dans une concurrence anarchique. Les bettera viers, les distillateurs, les bouilleurs de cru luttent à coup de millions pour la sauvegarde de leurs privilèges et de leurs bénéfices — sans aucun souci de la santé des Français qui. intoxiqués par l’alcool, recommencent à peupler les hôpitaux et les asiles d'aliénés. La liste des intérêts coalisés ou trustés qui sc sont ainsi arrogé des privilèges proprement féodaux serait longue et édifiante. Il est grave que l’Etat reste désarmé devant eux. Il est plus grave encore que le Parlement ait ouvert ses portes à des hommes qui, cyni quement. sc proclament leurs représentants. La démocratie parlementaire est. de la sorte, atteinte dans son principe et, par le biais de ce néo-cornmatisme. un fascisme qui n'ose encore dire son nom s'installe insensiblement à sa place. La faiblesse de l'Etat est-elle sans remède et la démocratie doitelle céder le pas a l'anarchie ou au despotisme des « organisateurs » en tous genres ? La réponse dépend de nous — de notre volonté — de notre Entre ceux qui dénigrent aveuglément le « système » parle mentaire et forment le gros des troupes plus ou moins rassemblées par le gaullisme (seconde manière), et ceux qui veulent renverser l'Etat pour le remplacer par la dictature du prolétariat, il existe en France une masse d’hommes et de femmes assez raisonnables et résolus pour donner à la République la force d'abattre les arrogantes féodalités qui la défient. Jadis, le bras séculier de la cité temporelle était la sauvegarde des humbles — et la garantie de leur affranchissement. L'Etat moderne doit, lui aussi, armer son bras s'il ne veut pas périr. Pierre CORVAL....

À propos

L’Aube est fondée en 1932 par Francisque Gay et Gaston Tessier. Ce journal d’opinion, d’obédience catholique et de gauche, a d’abord beaucoup de mal à rallier les catholiques démocrates du pays à cause de son positionnement pas vraiment clair entre socialisme et Église. Il arrive néanmoins à fidéliser un lectorat restreint. Pacifiste et favorable à la politique de Locarno, L’Aube fut souvent violemment attaquée par la droite catholique ainsi que par l’extrême droite, notamment L’Action française.

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