Extrait du journal

des contrées inconnues. — Où donc ça, s’il vous plaît ? — Mais... en France! — J’y penserai... » Pendant la guerre je revis mon scepti que, qui, je dois le dire, fit son devoir, mais sans enthousiasme... ça ne l'amusait pas. Lorsque, cet hiver, il tomba chez moi, le teint bruni, l’œil vif... « J’ai suivi votre conseil, me dit-il. — Ah bah ! — Ça vous surprend ? — Certes! — Et pourquoi? — Parce que, si un conseil est la chose que l’on donne le plus volontiers, c’est habi tuellement ce qu’on accepte le moins.— Vous m’avez dit un jour qu’il y avait en France des voyages de découvertes à faire. — Eh bien? — Eh bien, j’ai voyagé en France... Et si vous saviez tout ce que j’y ai découvert ! — Alors, plus d’ennui ? — Non, mais une profonde tristesse. — Mieux vaut cela que l’ennui vague, car je sup pose que cette tristesse a un motif ? — Oh! certes ! Laissez-moi vous dire ce que j’ai vu dans quelques coins de nos départe ments que l’on connaît de nom, mais que personne ne va jamais visiter, sauf le pré fet, dans ses tournées de révision... 1>3 hameaux épars, réunis par des sentiers qu’à peine peut suivre un mulet. Si on s’égare, il faut vaguer pendant des heures pour découvrir la pointe d’un clocher dé labré qui signale ce qu’on appelle : une commune. Nul signe de vie, d'activité, de commerce, d'industrie. De temps à autre, un paysan qui fouille la terre et qui ne sait pas le français. Pas d'auberges, pas un bouchon même, pour se rafraîchir. Et dans ces communes, des maires qui signent avec une croix, ne lisant, par conséquent, jamais un journal, et croyant tout ce qu’il plaît au curé de dire au prône. Le paysan aime la terre, la travaille avec acharnement, comme on la travaillait du temps de Vercingétorix, s'endette pour agrandir son champ. Mais si vous saviez comme on l’instruit! Il a complètement ou blié que c’est à la Révolution qu’il doit d'être propriétaire et de jjosséder cette terre. Pour lui, la Révolution c’est l’en nemi de la propriété, c'est le règne du bri gandage, la bête vaincue, mais toujours prête à dévorer les gens et leurs immeu bles ; car, chaque jour, on lui répète en chaire, ces sornettes, et l'administration ne fait rien pour .combattre ces idées mal saines ; longtemps elle les a encouragées de toute son autorité. Pour ces indigènes, l’administration est une façon de Provi dence fantasque dont les décisions sont sans appel et à côté ou au dessus de la quelle il n’y a rien. J’ai visité, dans ces contrées, les établis sements décorés du nom d’écoles. Cela dé passe ce qu’on peut imaginer,|et les taudis dans lesquels les fellahs enseignent à lire aux enfants, dans la vallée du Nil, sont des palais si on les compare aux bouges où un pauvre instituteur, là-bas, rassemble à grand'peine une douzaine de gamins , quand lesparents ue les emmènent pas aux champs. Ces instituteurs, qui balayent l'église, n’ont entre les mains aucun journal, mais on leur envoie de petits livres estampillés, pleins de grossières niaiseries. Cela leur est adressé gratis par de bonnes âmes. Ce monde vit au milieu de richesses qu’il ignore ; car le pays est merveilleux et pourrait nourrir et faire prospérer une po pulation dix fois plus nombreuse, et la preuve, c’est qu’à dix kilomètres de l’autre côté de la frontière, un canton analogue par le sol, (le climat', les eaux, est popu-...