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Le Bien public, 24 avril 1878

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Le Bien public
24 avril 1878


Extrait du journal

moire, si je n’avais pas parlé du rôle qu’il a joué dans les Assemblées politiques. Il n’était pas homme de parti, ce qui l’a empêché de jouer un rôle politique. Dans le gouvernement parlementaire, qui n’est pas autre chose que le gouvernement du pays par les partis, il est impossible d’a voir une action sérieuse sur les affaires, quand on ne subit pas jusqu’à un certain point la discipline du parti dont on veut faire triompher les idées, et dont on veut voir réaliser le programme. Je ne veux pas faire ici de théorie cons titutionnelle, ni vous dire comment le gou vernement par les partis a pu avoir chez nous et ailleurs les plus heureux résultats. Toujours est-il que Bastiat avait une per sonnalité trop marquée pour être un parle mentaire complet ; il avait accepté la Répu blique, et désirait qu’on la fit vivre : c’était, à proprement parler, un républicain con servateur. Envoyé par vous à l’Assemblée nationale, puis à l’Assemblée législative, il fut cons tamment libéral, toujours indépendant, sou vent isolé. Dans sa circulaire de 1849, il di sait : «Vous ne pouvez comprendre ma ligne de conduite ; ce qu’on me reproche,c’est pré cisément ce dont je m’honore. Oui, j’ai vote avec la droite contre la gauche, quand il s’est agi de résister au débordement de fausses idées populaires ; oui, j’ai voté avec les gau ches contre la droite, quand les légitimes griefs de la classe pauvre et souffrante ont été méconnus. » Quelques mois plus tard, il écrivait ce qui suit dans une lettre livrée depuis peu à la publicité. « Les élections n’auront lieu qu’en 1854 ; ne portons pas si loin notre prévoyance. Je sais dans quel esprit les électeurs m’ont nommé : je ne m’en suis jamais écarté. » Ils ont changé, c’est leur droit; mais je suis convaincu qu’ils ont mal fait de chan ger. » «Il avait été convenu qu’en essayerait loya lement la forme républicaine, pour laquelle je n’ai, quant à moi, aucun engouement; peut-être n’eût-elle pas résisté à l’expérience, même sincère ; alors elle serait tombée na turellement sans secousse, de bon accord, sous le poids de l’opinion publique; au lieu de cela, on essaie de la renverser par l’in trigue, le mensonge, l’injustice, les frayeurs organisées, calculées, le discrédit ; on Vem pêche de marcher, on lui impute ce qui n’est pas son fait, et on agit ainsi contraire ment aux conventions sans rien à mettre à la place. » N’aurais-je pas le droit do dire, après avoir cité ces deux passages, que Bastiat I eût été avec nous dans l’œuvre que nous avons entreprise : fonder la République conservatrice ? Le grand économiste s’est rencontré sur ce terrain avec un grand homme d’Etat que la France a perdu il y a bientôt une an née. Bastiat et Thiers semblaient être les champions des idées les plus contradictoi res. L’un était l’apôtre du libre-échange l’autre était le défenseur convaincu de la protection. Ils se sont pourtant rencontrés deux fois, parce que l’un et l’autre étaient doués du plus rare bon sens, du patriotisme le plus élevé. La première fois, c’était en défendant la propriété si vigoureusement attaquée par le communisme en 1848. Je me rappelle en core les effets de la défense vigoureuse de Bastiat et de Thiers. Ils avaient chacun leur clientèle ; ici on suivait le raisonne ment scientifique, précis, pressant de l’éco nomiste ; là, on était entraîné par le bon sens philosophique de l’homme d’Etat. La seconde fois ils se sont rencontrés sur le terrain de la République modérée ; s’ils ont pu se donner matériellement les mains dans la première rencontre, ce n’est qu’à travers les années qu’elles se rejoignent dans la seconde. Les paroles prononcées en 1850 par Bas tiat sur la nécessité de pratiquer sincère ment la République, Thiers n’a pu les ré péter que vingt-deux ans plus tard. Mais quittons la politique. Aussi bien, Bastiat, quoique très fidèle à scs opinions libérales, n’y est-il entré que par occasion. II s’en servait comme d’un théâtre sur le quel il pourrait faire jouer ses pièces. Sa passion dominante était l’cconomic poli tique; son héros était l’homme usant libre ment, et sans faire obstacle à Za liberté des autres, des facultés dont la nature l’avait doué. 11 le voulait maître de son travail, de scs biens ; il ne pouvait pas croire qu’il pût l’être sans la liberté de l’industrie, sans la liberté du commerce.N’est-ce pas le lieu de nous demander si nous avons profité de l’exemple et de l’enseignement de Bastiat? si nous avons fait, après lui, tout ce qu’il fallait faire pour servir la cause qu’il a dé fendue avec tant d’éclat ? La politique commerciale inaugurée en 1860, qui a clé si féconde en résultats heu reux, a fait le bien dont nous jouissons comme on jouit de la santé, pour ainsi dire sans s’on apercevoir. C’est cette jouissance paisible qui expli que comment les amis de la liberté com merciale se sont les uns après les autres successivement endormis. Les prohibitions disparues, la douane laissant entrer des produits jusqu’alors in connus, les échanges internationaux s’ac croissant d’années en années en nous pro curant des débouchés nouveaux, la richesse publique augmentant dans des proportions inespérées, sans discontinuité, nous per mettant de nous relever avec éclat de nos désastres, tout a créé peu à peu autour de nous comme une atmosphère naturelle qui semble avoir toujours existe. Il a fallu qu’on craignit le retour aux idées du passe pour ramener soudainement les esprits, d’abord à des souvenirs, ensuite à des réflexions dont on avait perdu l’habi tude. Aussi ne s’est-on pas remis prompte ment sur la vraie voie; on n’apassongéaux principes, qui paraissaient être des armes rouillées dans nos discussions actuelles; je regrette de le dire, la doctrine est absente : on parle au jour le jour sur les détails, on...

À propos

Lancé par Henri Vrignault au mois de mars 1871, quelques jours seulement avant la Commune de Paris, Le Bien public rejoint dès sa naissance les rangs des journaux protestant contre les élections organisées par le Comité central. Interdit un mois après son lancement, le journal réapparait à la chute de la Commune. Républicain et conservateur, Le Bien public devient alors le journal porte-parole d’Adolphe Thiers. Lorsqu’il tombe entre les mains d’Athanase Coquerel en 1874, il se teinte également d’une couleur fortement anticléricale.

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