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Le Constitutionnel, 10 septembre 1835

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Le Constitutionnel
10 septembre 1835


Extrait du journal

La loi sur la presse a été votée aujourd'hui par la chambre des pairs qui, en moins d'une heure, a revctu de sa sanction législative vingt-sept articles. Un certain nombre de pairs opposés au projet n'ont pas voulu prendre activement part à une discussion dont une inflexible nécessité commandait à l'avance le résultat. « Je ne veux pas jouer la comédie' », disait l'un des vétérans de l'assemblée , qu'on savait contraire au projet et qui se taisait. MM. Molé, de Pontécoulant, Maunier, Bassano ont partagé cet avis et gardé le silence. , Le ministère, ménager de son éloquence, n'a pas de son côté jugé nécessaire de se mettre en frais de discours. Il s'est défendu par ses ambassadeurs, et ce n'est pas le fait le moins bizarre de ce débat, que d'avoir vu successivement paraître à - la tribune , comme cham pions delà loi, trois repréBentans de la France à l'extérieur, MM. de Sarante, de Saint-Aulaire et de Montebello. Nous rie savons jusqu'à quel point ce concours d'éloquence diploma tique justifie le projet du reproche d'origine étrangère qui lui a été si souvent adressé, mais, à coup sûr, il est de nature & mériter à nos ambassadeurs toutes les bonnes grâces des cours auprès desquelles ils sont accrédités. Reste à savoir si ce sont là précisément les faveurs que les dépositaires du pouvoir législatif doivent ambitionner. La loi est votée , les chambres ont terminé leur œuvre, la loi a été jugée en principe, nous allons la juger en pratique, et nous verrons si le ministère usera avec calme et modération , ainsi que l'ont espéré les deux chambres, de l'immense pouvoir qu'elles iii commettent. Les réactions sont passionnées de leur nature : elles ignorent le plus souvent où le mouvement auquel elles se laissent emporter les conduira. C'est pourquoi M. Royer-Collard, dont on ne saurait trop invoquer l'expérience , répondant aux ministres qui prenaient l'enga gement d'user avec sagesse et modération d'une faculté de la loi, leur disait : «Laloi ne sait pas ce que vous ferez, vous ne le savez pas vousmêmes.» C'est là une observation profonde. Non, les ministres ne sa vent pas, en effet, ce qu'ils feront. Quand un gouvernement invoque les circonstances auxquelles une appréciation arbitraire donne le nom terrible de nécessité, il ne sait pas où s'arrêteront les sacrifices qu'il pourra faire aux dépens de la liberté, à ce génie exigeant et capricieux. La pente qui entraîneles pouvoirs rétrogrades vers le passé n'est pas moins rapide que celle où se place le radicalisme politique et social, qui s'élance vers un avenir indéfini. La réaction actuelle s'en prend à la presse, c'est-à-dire à la liberté de la discussion écrite. Mais la presse, «et organe- extrà-officiel de l'opinion publique, qui ne donne pas de sanction immédiate à ses dé cisions politiques , la presse n'est pas une institution isolée dans la combinaison logique de nos droits constitutionnels. La publicité s'har monise avec tout un régime de contrôle populaire et d'élection. 11 faut que la presse soit au moins au niveau de liberté.auquel sont portés les différens corps représentatifs de la société. Il est même juste de dire que, la presse peut et doit peut-être jouir d'une in dépendance plus large, et qu'elle doit avoir la faculté d'être plus aventureuse dans ses propositions que tous les pouvoirs, constitués. Car, tous nos corps représentatifs ont un vote , un vote qui aboutit à des résultats positifs : l'élection d'un homme équivalant à l'adhésion donné® à unë idée. Au contraire, l'initiative de la presse n'a qu'une valeur abstraite ; ses propositions demeurent dans le domaine pure ment philosophique , quand il ne convient pas aux interprètes légaux de la volonté nationale de les introduire en lois. La presse, en un mot , qu'on a décorée du nom de quatrième pouvoir de l'état , . n'est qu'un pouvoir consultatif. Quand un avis n'est pas obliga toire, il n'y a pas péril à lui laisser une plus grande latitude de liberté. Cela est si vrai que , même parmi les partisans de la loi, quelques hommes de bonne foi et de conscience sont convenus qu'on pourrait tolérer même un peu de licence dans la presse. On reconnaît qu'il y en à trop, beaucoup trop, que cette licence est portée à un excès intolé rable. Il est juste de remédier à un mal qui est avoué par tout le inonde ou peu s'en faut. Mais n'est-ce que la licence abusive que la pensée ministérielle veut atteindre? Il y a deux choses à interroger, la loi elle-même et la pensée qui l'a conçue. La loi, elle semble ne , vouloir que réprimer l'abus. Mais il y a une effrayante élasticité dans ses interdictions, et elle ouvre un vaste champ à l'interprétation ju diciaire; double danger qui est rendu plus grave par le changement de juridiction qu'elle consacre. La loi étant ainsi faite , on peut' dire j qu'elle sera, dans ses effets, ce que le ministère voudra qu'elle soit; ? et, alors, c'est la pensée ministérielle qu'il faut sonder. Çette pensée r s'est malheureusement révélée par un ensemble de mesures qui ont , fait rétrograder la philosophie moderne dans une de ses plus saintes | applications, c'est-à-dire, dans le système de garanties que l'humanité ; avait imposées à la justice. Cette pensée est essentiellement réactioninaire : nous sommes donc fondés à croire qu'elle est plus mauvaise que la loi, en d'autres termes, que le ministère sera poussé par ses ten dances à en faire un mauvais usage. Maintenant si, comme on peut le craindre, l'influence commina toire et les applications répressives de la loi resserrent la presse dans : le cercle étouffant où nous soupçonnons que la réaction veut l'enfer mer, voici ce que nous prétendons : C'est que la presse, ainsi amori tie par l'intimidation, par les poursuites et par les peines, la presse qui doit pouvoir, par ses impulsions progressives, devancer les organes officiels du pays et même l'opinion publique, se ; trouvera, en fait d'indépendance et de liberté, au-dessous de toutes : les institutions représentatives de la France ; c'est qu'avec line presse ainsi restreinte vous ne pouvez concilier une garde nationale qui ' nomme ses officiers, un corps électoral qui choisit ses représentans, des collèges départementaux qui élisent leurs mandataires au conseil général, et des communes qui s'administrent par leurs délégués. Oui, il faut remanier dans le sens du système , toutes les institutions élec tives, si la presse ne jouit plus de la somme de liberté qui lui revient légitimement. La presse échappera-t-elle à force d'habileté aux mau vaises intentions du pouvoir à son égard? nous ^'ignorons. Mais si...

À propos

Le Constitutionnel fut un quotidien politique sur quatre pages, fondé par Fouché et une quinzaine d’actionnaires, pour la plupart contributeurs du journal. D’abord bonapartiste, il s’agissait d’un organe puissant jusqu’à la naissance du Second Empire, rassemblant bonapartistes, libéraux et anticléricaux. Marqué par la personnalité d’Adolphe Thiers, le journal rendait compte des informations diplomatiques européennes, mais discutait également de l’actualité politique française.

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