Extrait du journal

Les Allemands parlent de notre légèreté avec une morgue compassée et, au tond, quelque peu jalouse. Ils doivent maintenant comprendre que cette légèreté n'est que l'apparence, bonne, franche et aimable, d'une qualité virile, sérieuse et salutaire. En France, l'intelligence court vive et preste; elle discerne clairement et marche droit au but. Pas de ces évolutions lentes et embar rassées, confuses. Sa situation est telle et exige tel remède. C'est bien ; on se met à l'œuvre, et on improvise, avec une facilité qui déconcerte les esprits moins ingambes, les ressources de salut. Voyez le travail de trois mois : des armées organisées selon un mode qui, hier encore, nous était inconnu ; les armées victorieuses de la Prusse arrêtées devant une ville dont la défense n'a certainement pas été prévue plus de quinze jours avant le siège. Qui sait ce que la fortune nous réserve ! Mais, en cas de succès, nous pouvons dire que la France l'a mérité ; et, en cas de revers, qu'elle était digne d'un meilleur sort. Cette facilité d'assimilation prompte et complète éclate dans les moindres faits. Il y a quelques jours, j'assistais au départ d'un ami, lieutenant dans un bataillon de mar che de la garde nationale. Il partait avec bon courage ; mais, au fond, il se défiait un peu de lui ; il allait à llinconnu, et il se de mandait tout bas si cet inconnu ne le pren drait pas au dépourvu. Enfin, c'était un novice. Hier, je le rencontre, retour de Gachan. Mon brave était tout changé : allure dé libérée, ton ferme, et dans le langage cette crânerie de l'homme qui a vu et qui sait. Quinze jours d'expérience ont suffi pour lui donner le premier baptême du soldat : il n'était plus garde national daus l'étroite acception du mot. Ceci explique, en partie du moins, la transformation si rapide de nos recrues, dix premier jour de Chatillon à la grande ba taille de Villiers. Nos conscrits de trois mois sont en état de se mesurer sans désavantage avec cette terrible landwehr, depuis si longtemps organisée, préparée et entrete nue avec une sorte de perfide prudénee. Il est certain qu'au point de vue de la consis tance, nous avons encore à gagner; mais le fonds principal y est; de plus, toute cette jeunesse est pénétrée d'un esprit admirable de docilité. Voyez les réservistes, les rappelés, ce sont d'anciens soldats. Les chefs vous disent que pour la patience, l'esprit de discipline et la bonne volonté, ils ne valent pas, pour la lupart, leurs jeunes camarades. pLes cadres d'officiers sont presque du même âge que les soldats. Tous ensemble ont appris le métier : d'où un lien plus étroit de solidarité. Peut-être, dans la mo bile, par exemple, tous les officiers n'ont-ils pas encore à fond la somme d'expérience nécessaire pour tenir bien en main le com mandement des troupes. Soit ; mais sur le champ de bataille ils en sont quittes pour se donner plus de mal et payer plus active ment de leurs personnes. On part du même pas et on arrive ensemble à une glorieuse victoire. Dans le désarroi actuel des ancien nes méthodes et désorganisations du passé, il faut s'attendre à ce que la mobile soit la pépinière féconde des généraux de-la nou. velle école, ceux qui assureront notre suc' cès ou nous vengeront de nos malheurs....