Extrait du journal

EN MARGE Les voix chères ne se tairont plus Les socialistes, experts en propagande, font enregistrer les belles déclamations de leurs orateurs et, discoboles de la lutte des classes, lancent dans les plus humbles bour gades le disque 37, par lequel un tribun prêche l'Inter nationale, ou le disque 82, qui, à travers un phonographe, verse en quelques mots bien sentis beaucoup d'envie et un peu de haine. Les amis de l'ordre en font-ils autant ? Ont-ils recueilli le vigoureux discours de Nancy, lequel, au-dessus de la politique, est digne à tant d'égards d'un affichage par lant ? Il paraît que l'enregistrement d'un disque est, pour un prix assez raisonnable, à la disposition de tous. Cer tains chanteurs, dont la réputation incertaine a besoin de publicité, font ainsi recueillir leurs plus beaux effets dans leurs morceaux favoris. Pourquoi les particuliers n'utilisent-ils pas cette facilité et, de même qu'ils com mandent leur portrait, ne demandent-ils pas à une société de phonographes de noter à jamais le son de leur voix ? Quelles émotions profondes procurerait à notre sen sibilité la pratique d'un tel usage ! C'est déjà une grande douceur que de contempler la photographie d'un être aimé disparu. Mais si les voix chères ne se taisaient plus et si les accents qui vous furent familiers s'élevaient de l'appareil mystérieux, cette évocation merveilleuse et touchante ne contribuerait-elle pas à assurer cette conti nuité de la famille qui est un facteur essentiel de-la continuité d'une nation ? La voix d'une mère, d'un père, d'un mari, d'un enfant, qu'est-ce qu'une photographie, une mèche de cheveux, une lettre jaunie ou tout autre souvenir, auprès de cette sorte de résurrection ? Et à écouter ces tendres phrases d'outre-tombe, nous aurions l'impression d'avoir su enfin capter une parcelle de l'immortalité des âmes. ©erre Soulaine....