Extrait du journal

Je me demande vraiment si, après tout, il est bien nécessaire qu'un homme se donne la peine de créer une œuvre ou de laisser une trace sérieuse de-son passage sur tîette terre, pour qu'au bout d'un cer tain nombre d'années, le premier censeur venu vienne détruire par un coup de crayon l'édifice que le talent'a élevé avec! tant de soin. Voyez, par exemple, cet excellent Du- j mas père. Il offre à son époque, en dehors de ses romans, les douze volumes de son j théâtre complet, plein de comédies char- { mantes, de drames vigoureux et passion- | nés. En parcourant cette oeuvre on éprouve | un très violent chagrin de voir par ! quelle littérature de bastringue on a rem- j placé de notre temps le répertoire d'au trefois. Un de mes collaborateurs a même essayé l'autre jour de défendre la féerie en alléguant qu'elle avait sauvé plus d'un directeur d'une faillite certaine. Je suis sûr que les créanciers lui sauront le plus grand gré d'avoir opéré un pareil miracle dont la critique doit se réjouir beaucoup moins ;car si les directeurs sont sauvés, le théâtre' est perdu; les meilleurs comé diens de ce temps sont contraints de tran- il siger avec leur dignité, de déserter lejj drame pour s'en aller chanter les couplets | d'un prince Cocorico quelconque. il La seule satisfaction qui reste encore aux hommes de goût, c'est de voir revenir de temps en temps, dans un bouibouis lointain, un de ces drames vigoureux comme Alexandre Dumas père savait les trouver autrefois. Mais une telle dé bauche de littérature est hérissée de dif ficultés, car il arrive, entré Autres, qu'Antony, joué le 3 mai 1831, et repris maintes fois depuis la création, offense la censure, et peut être considéré comme un danger public pour les masses. Je ne peux pas croire que la commission d'examen veuille empêcher la reprise d'Antony rien que pour son bon plaisir. Il /aut donc qu'elle ait des raisons sérieuses que je n'ai pas encore pù deviner au moment où nous mettons sous presse. J'ai passé une partie de la nuit à relire le drame de Du mas, sans y trouver une scène qui pût menacer la paix de l'Europe. Par ci, par là, il y bien une page un peu audacieuse, mais l'audace n'a jamais été un crime en France, et la morale qui étale avec une si visible satisfaction trois cents paires de jambes de femmes sur une scène, aurait tort de s'offenser d« si peu. Les raisons qui déterminent la commission d'examen doivent avoir une source autre, que je suis désireux de connaître....