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Le Figaro, 5 février 1904

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Le Figaro
5 février 1904


Extrait du journal

Norvège fabuleuse un peu, d'être lointaine, Belle même à celui qui ne te connaît pas, - Mais qui, levant ses yeux et son âme incertaine,- , . Te devine à demi dans les brouillards, là-bas ; Norvège blanche au loin, Norvège blanche et verte, . Terre âpre de granit qu'une mer âpre mord, Et qui, de prés, de bois et de neiges couverte, Dresses ton front glacé vers les confins du Nord-; Pays des longs hivers traînants et monotones ; Etdes brusques étés qui brûlent les gazons, Où, loin des printemps doux et des lentes automnes, L'homme sent mieux la force étrange des saisons ;, Pays des hauts sapins dans la brume profonde, Qui, devenus les mâts ailés des grands vaisseaux Et voguant à travers toutes les mers du monde, Semblent une forêt errante sur les eaux ; Pays des bouleaux gris, pays des maisons rouges Ou près des champs en fleurs le névé glauque luit, Pays halluciné qui trembles et qui bouges Parfois sous les soleils vacillants de minuit ; Pays des eaux d'argent et des cascades bleues Qui descendent de monts en monts par bonds légers Et s'étalent soudain calmes, pendant des lieues, :. En vastes lacs aux plis des vallons étagés ; Pays où le vent tord comme des spectres vagues. . gur la falaise à pic les grêles arbrisséaux, Pays des lourds glaciers qui trempent dans les vagues Saris même avoir le temps de se fondre en ruisseaux; ÎPàys des flords surtout, des longs fiords que traverse Ûii oblique rayon irisé par moment, Et dont chacun s'enfonce, ainsi qu'un fleuve inverse, Entreles froids couloirs des monts,, profondément; Pays des fiords à l'eau laiteuse et léthargique • Où claire, toute en bois vernis, une cité, Ainsi qu'un beau jouet d'enfant —• parfois tragique, — Rêve dans la tristesse et la félicité ; — Norvège à la farouche et tendre poésie, Norvège des Eddas, Norvège des Sagas, Qui jadis, à des vents-d'épique fantaisie, Sur le vaisseau de la légende-naviguas, Sur le vaisseau longeant le morne et froid royaume ;Qù Wagner vit ses dieux si tristes et si beaux, "Et"qui, mille-ans après, comme un vaisseau fantôme. Est reparu, monté par des rêveurs nouveaux : Pays de Brand, pays de Solness, pays d'Ase Et de: cette excessive et sincère Nora, i Qu'Ibsen, plein à la fois de colère et d'extase, Blanc héros de l'esprit, à jamais illustra; Pays du vieux Bjôrnson aux tristesses hautaines, '. Et dont les vierges ont tous tes fiords en leurs yeux, Pays du frais Thaulow qui fait dans nos fontaines Nostalgiquement luire un reflet de tes cieux; Pays de Grieg, nerveux et doux, dont la musique Berce, en son soleil pâle où frémit le sapin, lin peu de la langueur orageuse et physique . Qui flotte dans les nuits plus chaudes de Chtfpin ; ■r- Nous t'aimions autrefois déjà, chaste Norvège, Quand, dépliant la carte en nos doigts enfantins, Ton beau nom virginal qui sent l'air et la neige Nous faisait entrevoir tes hauts glaciers lointains; Et maintenant, nous t'aimons mieux de te connaître, Sinon des yeux, du moins en pensée, à travers Ton génie inquiet et dru comme le hêtre, Tes hommes aussi droits que tes grands sapins verts. Nous aimons ton bon peuple à l'âme chimérique, Triste et pur,.toujours plein d'un songe doux-amer, Ët toujours prêt à découvrir une Amérique Parmi les infinis du rêve ou de la mer ; ^on peuple de marins, vagabond et tranquille, Ton peuple où les marchands sont tous des matelots Qui prennent pour aller se voir, de ville en ville, Loin des chemins terriens, les froids sentiers des flots ; Ton peuple aux cheveux blonds, aux robustes épaules, Rude mais franc, mélancolique mais heureux, Qui cingle parmi lés banquises jusqu'aux pôles Pour contenter son beau désir aventureux ! Nous aimons ton cruel et tendre et triste drame Qui pleure de trancher à vif dans nos douleurs, Comme parfois, ayant coupé les flots, la rame Laisse égoutter sur mer un bruit secret de pleurs; Nous aimons ta pensée âpre, ardente, hardie,. Bien que toujours brumeuse et comme blanche^ua peu; Pareille au fiord glacé qu'empourpre l'incendie, Pareille à de la neige où brûlerait du feu, Norvège ! et nous t'aimons encor plus quand tu souffres, Et quand soudain un peu de toi s'anéantit . , En un malheur brusque et profond comme tes gouffres* Maëlstrom de désastre où ton cœur s'engloutit! . Et nous venons à toi, tendrement, les mains pleines De fleurs tristes cachant sous leur gerbe un peu d'or, De vœux aussi, d'amour et de pitiés humaines Qui pour te consoler seront meilleurs encor; ' Car la France toujours aura des mains amies, Riches à la misère, apaisantes au deuil, Pour bercer doucement les douleurs endormies, Et faire aux nations l'universel accueil; Car son cœur fraternel, plein de pardons augustes, Son grand cœur pacifique, et qui veut rester clos Aux injustes courroux et même aux haines justes, N]entend parmi les bruits humains que les sanglots; Car «on rêve indulgent et radieux, Norvège, Son rêve qui dans T'ombre éparse monte et luit, — De même que souvent sur tes sommets de neige Un étrange matin scintille dans la nuit,— Son rêve de lumière et de paix idéale, Loin du réel, où sonne un tumulte de fer, Brille, parmi la nuit obscure et glaciale, Sur le monde où le mal règne encor dans l'hiver, Comme.une immense et douce aurore boréale!...

À propos

En 1854, quatorze ans après la disparition du petit journal subversif du temps de Charles X, Hippolyte de Villemessant relance Le Figaro. Paraissant d’abord sous la forme d’une petite feuille de chou littéraire, Le Figaro absorbe L’Événement en 1866 pour devenir, sans transition, le grand quotidien conservateur que l’on connaît. Dès les années 1880, il abandonne la cause du monarchisme pour adhérer aux principes républicains.

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