Extrait du journal

Les demi-savants d'aujourd'hui font vo lontiers des gorges chaudes sur ce qu'ils appellent les temps d'ignorance; ils ont ici le triomphé facile, et certainement on savait moins lire que maintenant. Fran chement, est-ce pour cela qu'on était moins heureux? Ne nous laissons pas prendre aux mots ni aux apparences. Aujourd'hui, un homme qui ne sait pas lire est évidemment fort embarrassé; mais, dans la vie infiniment moins compliquée d'autrefois, à une époque où il n'y avait ni journaux ni livres à bon marché, la mémoire suppléait aux moyens mécaniques.d'instruction, et les chants populai res traversaient les générations sans avoir besoin d'être imprimés, comme la légende de Cadet-Roussel ou l'histoire de Crédit tué par les mauvais payeurs. Cette ab sence d'instruction primaire n'était rien à la finesse des perceptions, à l'acuité des impressions. Mais, à nous en tenir à la valeur des progrès que la vulgarisation de la lec ture,. de- l'écriture ou de l'arithmétique ont fait faire à l'humanité, nous sommes bien forcés de remarquer qu'ils ont dé placé les mauvais instincts et ne les ont pas détruits! Je n'hésite pas, je l'avoue, entre le manant agenouillé au son de l'angelus,. allant chercher sa guérison aux fontaines miraculeuses, payant la dîme avec un respect superstitieux, et le raisonneur moderne, gouailleur, insolent, exigeant, entêté. Je préfère de beaucoup le manant. Parlerons-nous, dan» un autre ordre d'idées, des progrès matériels qui, je le ré pète, sont énormes et dont notre égoïsme s'accommode parfaitement ? Aucun de nous ne voudrait, de propos délibéré, remonter le cours des âges, ha biter les maisons mal closes, les donjons où. le vent /faisait rage, les immenses sal les que nulle cheminée ne pouvait ré chauffer et où Henri IY, couchant avec s la royne, sa femme », avait manqué, écrivait-il, d'avoir la moustache gelée. Personne ne voudrait revenir aux mets primitifs, à la cuisine naïve des maîtresqueux. Au fond, cela ne fait pas notre éloge, et cette vie, dont la rude image nous épouvante,? produisait une race beau coup plus forte, beaucoup plus saine que nous. Quand les magistrats s'en allaient à leur maison des champs, dans une char rette bourrée de paille, comme les maraî...