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Le Figaro, 9 octobre 1862

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Le Figaro
9 octobre 1862


Extrait du journal

Dois-je te vouvdyer ou vous tutoyer? Il y a si longtemps que nous ne nous sommes vus que je ae sais plus sur quelpiednous pouvons danser l'unen face de l'autre, sur celui de la plus tendra familiarité ou sur celui du plus profond respect. N'êtes-vous pas devenue grande darne, — et grande dame de lettres, encore? On me l'a dit, et, quoique "j'en eusse, j'ai dû le croire, sachant par expérience personnelle avec quelle adorable facilité les fem mes changent de condition, de visage, de toilettes et d'amants; hier griselte, aujourd'hui marquise ; hier en robe d'indienne, aujourd'hui eh robe de soie ; hier naïve, aujourd'hui corrom pue ; hier fidèle, aujourd'hui coquette,—-méconnaissables enfin à ce point qu'elles ne veulent plus vous reconnaître, vous qui cependant n'avez pas changé. Ah! chère âme, je regrette le temps où à deux nous ne faisions qu'un, le temps où nous jouions ensemble à la Comédie ita lienne devant un public enthousiasmé par ma jeunesse et par ta beauté, le temps où tu n'étais que l'amoureuse Colombine et où je n'étais que l'amoureux Arlequin. Souvenez-vous en, belle oublieuse que je né peux oublier, souvenez-vous en 1 — De bonne foi, m'aimes-tu? me demandiez-vous alors. — Oui, assurément, je t'aime, vous répondais-je. Je t'aime comme les filous aiment la" bourse.' Et toi, m'aimes-tu? — Je t'aimecomme les vieillards aiment l'argent. — Et moi comme les maîtres à danser aiment les beaux habits. — Et moi comme les Normands aiment les procès. — Et moi comme les libraires aiment les auteurs qui ne de mandent rien. ' . — Et moi comme les femmes aiment à 'paraître belles. ' —Et moi comme'les médecins aiment la maladie. — Et moi'comme les procureurs aiment les grosses lettres. — Et moi comme les jeunes gens aiment les grandes dé penses, les grandes épées, les grandes cravates et les grandes tabatières. < * — Et moi comme les musiciens aiment à boire. — Et moi comme le vent aime les girouettes. — Et moi comme les comédiens aiment les salles pleines. .. Nous parlions ainsi et nous aimions ainsi, alors. Le langage n'était pas élégant, mais il était sincère— comme notre amour. Tu n'étais pas bégueule, chère âme, parce que la bégueulerie est une hypocrisie, et que les cœurs droits ne savent pas être hypocrites. . J , Ces beaux jours sont envolés ! Aujourd'hui, madame, je fais antichambre à la porte de votre boudoir, où veille une soubrette rébarbative, quoique d'un minois acoquinant en diable : je suis consigné, et me voilà réduit à vous écrire au lieu d'être appelé à causer avec vous. Ah ! Colombine, Colombine, tu portes le cœur à droite, maintenant, au lieu de le porter à gauche," comme autrefois ! Que .votre impitoyable volonté soit faite, madame ! S'il m'est défendu d'ëfre tendre, il ne m'est pas interdit d'être respec tueux, c'est-à-dire de vous aimer encore — à distance. Une consolation me reste dans ce désarroi de mes. senti ments : Je suis dans votre maison, j'écris sur votre papier, je me sers' "dé" votre encré, — sànspouvoif me servir de vôtre plume, hélas ! la plume des chefs-d'œuvre épistolaires....

À propos

En 1854, quatorze ans après la disparition du petit journal subversif du temps de Charles X, Hippolyte de Villemessant relance Le Figaro. Paraissant d’abord sous la forme d’une petite feuille de chou littéraire, Le Figaro absorbe L’Événement en 1866 pour devenir, sans transition, le grand quotidien conservateur que l’on connaît. Dès les années 1880, il abandonne la cause du monarchisme pour adhérer aux principes républicains.

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