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Le Figaro, 12 novembre 1931

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Le Figaro
12 novembre 1931


Extrait du journal

Entre tous les petits inconvénients des anniver saires, il en est peu de si redoutables que les bana lités solennelles, — au sens rigoureusement propre de ce mot, c'est-à-dire qui sont répétées chaque année; infailliblement. On ne fait point ici d'imper tinente allusion aux discours officiels, qu'il est tou jours. loisible d'échapper en se dérobant aux céré monies et en négligeant à dessein d'en lire les comptes rendus : on ne veut parler que des propos de circonstance, soit de l'homme dans la rue ou de l'homme dans les salons, qu'il est bien impossible d'éviter, à moins de se cloîtrer ces jours-là ; de même qu'il faudrait s'abstenir de fréquenter le Louvre, si l'on avait décidément trop de répugnance à essuyer les bêtises qu'au dire des frères de Goncourt les tableaux :3e musée entendent chaque jour sauf le lundi, depuis l'ouverture jusqu'au moment où les gardiens crient : « On ferme ! » La phrase de cette qualité dont j'ai eu hier les oreilles rebàttués, c'est : « Déjà treize ans ! Comme le temps passe ! » , ' Depuis Dieu sait combien d'années qu'il y a des hommes, je n'ajouterai pas, comme La Bruyère : « et qui pensent », mais qui sentent, et qui sentent dans le temps, on s'étonne que l'humanité n'ait pas réussi encore à éclaircir une notion qui lui est si essentielle. Il semblerait même que, durant la plus récente période de son évolution, elle n'ait fait que l'obscurcir et la fausser. Certes, aujourd'hui, comme d'ailleurs probablement toujejurs, le temps qui sou cie plus les mortels, c'est le temps vide, que comptënt'ies sabliers ou les horloges, et qui, à chaque grain dé sable qui tombe, à chaque oscillation du balancier, les conduit plus près de la mort. Ils savent que ce temps-là va toujours du même train, et que c'est un effet trompeur de leur angoisse, s'il leur semble, à mesure qu'ils avancent en âge, se précipiter. Mais comment ne s'avisent-ils point que leur illusion est double ? Car le temps vide, égal à/ lui-même en chacune de ses parties, n'a aucune réalité, ce n'est pas même un rêve, ce n'est rien^ i . L'homme qui s'intitule « moderne » se flatte de n'avoir le temps de rien. Etrange progrès^ par pa renthèse ! Mais surtout, quelle condamnation du temps ! C'est alors que l'on pourrait dire, plus jus tement que Vigny : « Le temps est vaincu. » Car il n'est rien si l'on n'y met rien. Ah ! je conçois que l'on murmure, avec un peu de honte : « Déjà treize ans ! » Qu'en restera-t-il, de ces treize ans ? Le temps, bien plutôt que l'amour, est pareil aux auberges d'Espagne, où l'on ne trouve que ce qu'on y apporte. Mais aussi quel admirable cadre il peut offrir au voyageur qui n'a pas été imprévoyant ! Un illustre musicien de nos jours a écrit : « Au commencement était le rythme. » Cette belle parole, que l'on a tort d'attribuer à Jean-Sébastien Bach, mais qui n'est pas indigne de lui, dépasse singu lièrement la musique. Elle est, en vérité, d'une application universelle. Le rythme, qui est le temps, mais cadencé, un autre temps que celui des sabliers et des horloges, est le grand élément tragique de l'histoire et de la vie. Les poètes de notre théâtre classique le sentaient, un peu confusément peut-être, puisqu'ils croyaient devoir invoquer l'autorité d'Aristote pour exiger l'unité de temps : elle est autre chose qu'une règle et une convention de la scène. Sur la scène de l'histoire, jusque dans l'humble vie privée, un rythme soutenu et bref est la condition première du tragique. Il n'y a pas de tragédie au ralenti. Du siège de Toulon au sacre de l'Empereur, il ne s'est écoulé que onze ans, dix ans et demi du sacre à Waterloo. Et nous, déjà treize ans... Abel Hermant, de l'Académie française....

À propos

En 1854, quatorze ans après la disparition du petit journal subversif du temps de Charles X, Hippolyte de Villemessant relance Le Figaro. Paraissant d’abord sous la forme d’une petite feuille de chou littéraire, Le Figaro absorbe L’Événement en 1866 pour devenir, sans transition, le grand quotidien conservateur que l’on connaît. Dès les années 1880, il abandonne la cause du monarchisme pour adhérer aux principes républicains.

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