Extrait du journal

Quand on s'est trouvé mêlé, si peu que çe soit, à des élections en province, on comprend, sans avoir besoin de plus d'explications, la grande différence qui existe presque toujours entre les élections de Paris et celles des départements. Dans les départements, les élections sont une sorte de sacerdoce. Le vote n'est pas une corvée, ou une simple distraction, comme à Paris. J'ai connu, dans un tout petit village, un pauvre diable qui était, durant toute l'année, le souffre-douleur de la population, et qui n'attendait que le • jour au vote pour se rattraper. Ce jour-là, il se tenait bien en évidence sur. la place publique, devant la mairie où avaient lieu les élections. Commet arrive souvent dans les petites-commu nes, ces élections étaient très disputées,' et les partis en présence se - tenaient à une ou deux voix. Le moindre suffrage prenait donc une grande importance, et notre .souffre-douleur devenait tout à coup un personnage. Il le savait, et il prenait plaisir à se laisser solliciter, choyer et dorloter durant toute la jour née. Car il avait bien soin de ne voter qu'à la dernière minute, au moment même où le scrutin allait fermer. De la sorte, il avait durant tout le jour les deux partis à ses trousses. On le _me' nai.t de: cabaret en- cabaret j on lui faisait toute sorte,d'avances et de politesses. 11 voyait s'empresser auprès de lui des gens qui d'ordinaire ne lé regardaient même pas. C'était son jour de gloire, la revanche dé tant d'autres jours dé rebuf fades et de misères. A la fin, pourtant, il était bien obligé d'aller voter. Il ne le fai sait qu'à regret, sachant bien que du mo ment où son bulletin serait tombé dans l'urne, plus personne ne ferait attention à lui. Il n'avait pas à ce sujet la moindre illusion, et lorsque, après avoir voté, il sortait de la salle de scrutin, il s'écriait, avec un soupir de regret : , -^- Maintenant, mon règne est finit... C'est là l'histoire de bien des électeurs, et peut-être même du corps électoral tout entier. Dès ce matin, on va faire disparaître de tous les murs le bariolage qui s'y étale depuis une vingtaine de jours. Toutes les affiches vont être enle• vées, ëî peut-être "bien qu^vwretteçTi'eiFiront aussi toutes les promesses faites, ét ions les engagements pris. Je ne vise d'ailleurs personne, les noms des élus n'important guère dans la circonstance. Les élections sont un sujet d'ordre gé néral, et au point de vue psychologi que, sinon au point do vue politique, on peut faire les mêmes réflexions quels qu'en soient les résultats. Il est bien rare que les élus soient exactement pareils à ce qu'étaient les candidats. J'ajoute même que c'est fort heureux, car les candidats nous sont généralement représentés comme les pires des malfaiteurs. Je ne sais si vous avez eu la curiosité, ces jours-ci, de lire quelques-unes de ces affiches. C'est une •littérature qui ne varie guère. Tous les concurrents se dénoncent mutuellement au mépris public. Ce pauvre mépris pu blic 1 II aurait fort à faire s'il devait pren dre au sérieux toutes ces dénonciations. Il sait heureusement ce que parler veut dire, et il ne se trouble pas pour si peu. Ces jours-ci, un candidat a eu la singu lière idée de faireun procès en Cour d'as sises p;, « le distingué préopinant », et ils oublient bien vite, dans les conversa. tions des couloirs et les flâneries de la buvette, les injures et les horions qu'ils ont échangés. C'est, encore là un. des côtés par où"...

À propos

En 1854, quatorze ans après la disparition du petit journal subversif du temps de Charles X, Hippolyte de Villemessant relance Le Figaro. Paraissant d’abord sous la forme d’une petite feuille de chou littéraire, Le Figaro absorbe L’Événement en 1866 pour devenir, sans transition, le grand quotidien conservateur que l’on connaît. Dès les années 1880, il abandonne la cause du monarchisme pour adhérer aux principes républicains.

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