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Le Figaro, 16 décembre 1934

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Le Figaro
16 décembre 1934


Extrait du journal

EN FORME D'AUBADE La servante parut, la mine triste : « — Ce sont les boueux !... dit-elle. — Que veulentils ? — Leurs étrennes !... » Cette obole me parut amère, car ces mêmes hommes qui venaient me réclamer des vœux, s'exer-, cent, chaque matin, à me réveiller avec une ardeur diabolique. Ils font beaucoup plus de bruit qu'une catastrophe. J'entends d'abord leur camion qui vibre, puis leurs cris, et les boites traînées, hissées, jetées sur le rebord de la voiture, puis enfin lancées à terre avec un dédain retentissant. Cela se passe à cette heure où l'esprit s'ac croche volontiers à tous les regrets, et à toutes les craintes, à l'heure où il refuse de s'engourdir de nouveau dans l'oubli. On dirait que ces travailleurs ont voué une haine au sommeil d'autrui et qu'à cha que aurore ils dirigent avec joie leur grosse artillerie contre les fées qui protègent nos songes. Une fois je leur ai fait demander par le concierge d'être moins bruyants. Ils ont répondu plaisamment : « Si l'on veut nous donner des boites en caoutchouc. ? » Marcel Proust, dans La Prisonnière, a noté les bruits de Paris et dé sa maison avec une minutie de veilleur, de reclus sensible que chaque sonorité fait vibrer et qui traduit tout de suite en langage humain la symphonie de la rue. J'exècre, pour ma part, ce réveil en boue majeure. Mais que voulez-vous y faire ? Les remercier encore. C'est ce que j'ai fait. Je dois confesser que tous les chiffon niers ne sont pas de cette sorte. Il en est de plus traditionnels, c'est-à-dire de plus discrets. Ils précèdent cette conjuration matinale par des fouilles nocturnes. Devant la poubelle renversée,. ils trient ce que nous avons rejeté de la vie et comptent sur nos désordres ou nos dégoûts pour faire fortune. Je me rappelle avoir ainsi rencontré une chiffonnière rubiconde, fa milière de mon arrondissement, accroupie sur le trottoir et ne faisant plus qu'un tas avec les ordures étalées. C'était il y a plus de dix ans à une époque où Von chantait cette romance : Nuits de Chine, Nuits divines, Nuits d'amour !... Et elle célébrait ces nuits en recensant des choses sans nom. Je ne l'ai jamais ou bliée. Je n'écrirai pas qu'elle est un sou venir inestimable, mais son souvenir a plaidé pour la corporation. C'est à elle, ou à lui, que ces boueux, à vrai dire, doi vent leurs étrennes. Ils ne s'en doutent pas. Guermantes....

À propos

En 1854, quatorze ans après la disparition du petit journal subversif du temps de Charles X, Hippolyte de Villemessant relance Le Figaro. Paraissant d’abord sous la forme d’une petite feuille de chou littéraire, Le Figaro absorbe L’Événement en 1866 pour devenir, sans transition, le grand quotidien conservateur que l’on connaît. Dès les années 1880, il abandonne la cause du monarchisme pour adhérer aux principes républicains.

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