Extrait du journal

GQUGOU! Nous connaissons un monsieur qui a un petit garçon, et les désirs du petit garçon, pour-lui, sont des ordres. Ne voilà-t-il pas que ï'enfaiit, ces jours derniers, s'est'mis en tête ,de posséder un coucou? Mais oui, l'un de ces curieux animaux sauvages, qui ont pour âme une chaîne et deux poids, et qui répètent obstinément le même cri grin çant et mécanique, suivant les heures de la journée... Une heure. Un petit salut. Deux heures. Et ils mettent deux fois le bec à la fenêtre. Minuit. C'est le délire et l'égosillement complet, à moins qu'un propriétaire irrité ne les cueille au vol, d'un objet contondant lancé par les espaces, et n'assomme à la fois le coucou et sa bizarre maison de bois. Néanmoins, le monsieur partit consulter un horloger, puisque l'enfant voulait un coucou, et qu'il fallait, pair tous les moyens, essayer de le satisfaire. Et l'horloger lui rit au nez : — Un coucou ! dit-il. Je ne sais plus ce que c'est... Il y a des années qu'e je n'en ai vu dans mon magasin. Allez, continua-t-il avec dédain, allez dans les quartiers popu laires... Cette réception ne découragea point le chasseur de coucous, et il reprit la piste comme il se fût élancé sur les traces de l'oiseau bleu. 11 se dirigea vers un grand magasin, où le chef de rayon, homme puis sant, consentit à l'accueillir. Le monsieur hésita. Il trembla sur sa base, en considérant l'objet. C'était un énorme machin de bois, sculpté et travaillé comme le bois peut l'être par un paysan tchéco-slovaque ou suisse, lorsqu'il n'a rien d'autre à faire et qu'il a fini de yodler... Il était infâme : Et l'on ne pouvait consacrer cent soixante-cinq francs à cette horreur. Le monsieur se désolait. — Je voudrais, disait-il, faire plaisir à mon petit garçon, mais je crains, d'être ri dicule, et chacun, entrant chez moi, me prendrait désormais pour quelque épicier en retrait d'emploi. N'existe-t-il pas des coucous pour enfants, des pendules qui braillent, mais d'un modèle plus petit? — Avant la guerre, dit le chef de rayon, d'une voix mélancolique, nous en avions toute une variété. C'est fini. Et il semble que l'on n'en construise plus.! Le coucou disparaît. L'Allemagne y a renoncé. Il sera, d'ici peu, non moins rare que certains objets de musée, aussi éteint que le dronte ou dodo, qui a cessé d'appartenir à la faune australienne. Le coucou, hélas! s'envole.; comme le caniche, la douairière à Victoria et l'ombrelle à pompons ont' cessé de bril ler sous nos climats... Il arracha tristement deux de cent douze cheveux, et il conclut : — Si je disais, monsieur, que le baromè tre de fantaisie est en voie de disparaître aussi... Je ne vends plus de grenouilles, leurs échelles sont eu solde, et le petit paysan qui sort pour annoncer le beau temps ne paraît plus attirer la clientèle. Ah! comme on a raison, monsieur, quand on nous assure que le pittoresque s'en va... Déplorons-le. Et l'aimable fantaisie de nos pères, pour être risible souvent, n'en avait pas moins un côté gracieux, parfois gentil, sensible et touchant. Voyez le gigolo d'à présent, penché sous son casque de T. S. F., dans une attitude qui évoque des images de laboratoire. Ne lui préférez-vous pas la jeune fille en jupe à volants, pous sant du doigt, avec insistance, le petit paysan hors de sa guérite, le jour du ren dez-vous, l'après-midi où elle désirait du soleil, pour mettre et faire scintiller devant tous les yeux, comme dans la naïve chan son, « sa robe blanche et sa ceinture dorée... » Hervé Lauwi'ck....