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Le Figaro, 17 mai 1932

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Le Figaro
17 mai 1932


Extrait du journal

Nous voyons finir tant de choses, sans que rien commence d'ailleurs, qu'il serait trop long de les dénombrer toutes. Il en est cependant certaines dont on ne peut s'empêcher de remarquer la disparition ; ceux qui ont vécu avant la guerre ont connu une so ciété qui n'existe plus ; je prends ce mot de société uniquement dans son sens mondain, où il veut encore beaucoup dire. Dans le monde tout en ouvertures où nous vivons aujourd'hui, on peut dire qu'il n'y a presque plus que des endroits publics ; même les salons brillants, s'il en reste, soutiennent suffisam ment leur réputation s'ils sont pleins de beaucoup de gens, avec beaucoup de mélange ; la plupart de ceux qu'on y voit y vont surtout, je suppose, dans l'idée que cela pourra servir à leur carrière, à peu près comme on va dans une gare pour prendre un train. Certes, dans la vie de l'ancienne société, les calculs d'intrigue et d'ambition tenaient aussi leur placé ; mais l.'idée du pur plaisir y était bien plus forte ; il s'agissait avant tout de se divertir, et l'éclat, la gaieté, la brillante frivolité des conversa tions marquaient assez ce goût du plaisir. Sans doute, une société peut toujours prêter à la raillerie, car elle n'existerait pas, sans la vanité de ceux qui la constituent ; artificiellement close, elle se donne d'autant plus d'importance qu'elle est plus réduite et c'est quand elle est devenue toute petite qu'elle s'appelle orgueilleusement le monde. Elle comporte nécessairement des préjugés communs à tous ceux qu'elle réunit, mais dont il ne faut pas se moquer à la légère, car ces préjugés, outre qu'ils correspondent à certaines fonctions, à certains devoirs et à certai nes vertus, ont, pour beaucoup de gens, l'avantage de les empêcher de penser par eux-mêmes, chose pour laquelle très peu d'hommes sont faits. Du reste, je ne crois pas qu'il y ait plus de véritable intelli gence dans le monde désordonné d'aujourd'hui que dans la société ordonnée d'hier ; il suffit, pour s'en convaincre, de voir à quelles absurdités l'ambition de briller et la prétention de tout comprendre con duisent nombre de nos contemporains et de nos contemporaines. De grâce, a-t-on envie de leur dire en les écoutant, rentrez dans les préjugés et les opinions de votre classe ; ne pensez pas à vos pro pres frais ! Pas d'imprudence ! . Une société, en somme, c'est une serre ; cette serre conserve et favorisé un certain nombre de peti tesses et de ridicules, mais elle entretient et protégé aussi des grâces, des mérites, des charmes qui n'au raient pas poussé au dehors. Parmi les types les plus expressifs de la société d'hier, on s peut se rap peler certains vieillards et certaines jeunes femmes. Ces vieux messieurs étaient d'une politesse dont nous n'avons plus l'idée, qui se marquait non seulement par quelques formules, mais par des prévenances de tous les instants, et qui revêtait tout leur caractère, comme ces vernis qui rendent lisse, riante et dorée toute la surface des meubles qu'ils couvrent. Cer tains étaient de si bonne compagnie, ils avaient des manières si parfaites, ils parlaient si à propos qu'on mettait un assez long temps à s'apercevoir qu'ils n'étaient pas particulièrement intelligents ; mais quand on s'en rendait compte, cette idée ne leur fai sait aucun tort, car on les appréciait déjà pour tous leurs autres mérites, et il faudrait du reste être bien soî pour ne pas savoir que l'intelligence n'est, chez un homme, qu'une façon de valoir son prix, parmi beaucoup d'autres. Mais il arrivait aussi que ces élégants vieillards eussent l'esprit le plus fin ; alors, l'expérience et la culture s'unissant en eux, l'usage du monde affinant le tout, il n'était pas de com merce comparable au leur. On regrette leur con versation comme un vin délicieux, ardent, subtil, un peu sec, un meursault qu'on ne boira jamais plus. Pour les femmes, c'était autre chose, car si l'on peut dire qu'en elles la part de la n attire resté pres que toujours la plus forte, il n'en est pas moins vrai que l'esprit d'un temps envahit et pénètre toutes cel les qui y vivent, de sorte qu'on ne voit presque plus de femmes raffinées dans une époque qui ne l'est' pas, et qu'une époque raffinée, au contraire, s'ex prime toujours dans quelques types de femmes ex quis. La variété des caractères féminins était bien plus grande, selon nous, dans la société d'hier que dans le tourbillon d'aujourd'hui. Celles qui étaient faites pour les choses de la vanité s'occupaient jusqu'à la fin de rangs et de préséances. Celles qui étaient des vivantes hardies jouissaient d'autant plus de leurs plaisirs qu'elles savaient à quels ris ques elles s'exposaient. Celles qui étaient nées déli cates le devenaient tout à fait ; attendant leur des tin au lieu d'aller le chercher, elles lisaient, rêvaient, amassaient en elles de quoi enrichir l'amour qu'elles éprouveraient peut-être un jour. Cela est changé, les fleurs de plein vent ont remplacé les fleurs de ser res. On dira que beaucoup de femmes d'aujourd'hui ont une nature à la fois crue et banale, ; mais tandis qu'on parle ainsi du grand nombre, il faut bien prendre garde qu'il n'y ait pas, cachée, ici ou là, la femme d'exception pour qui devient faux tout ce qu'on a dit de vrai sur,les autres.. Abel Bonnard. EN DEUXIEME PAGE : k APRES LA « CONSULTATION » NATIONALE de FERNAND LAUDET de l'Institut...

À propos

En 1854, quatorze ans après la disparition du petit journal subversif du temps de Charles X, Hippolyte de Villemessant relance Le Figaro. Paraissant d’abord sous la forme d’une petite feuille de chou littéraire, Le Figaro absorbe L’Événement en 1866 pour devenir, sans transition, le grand quotidien conservateur que l’on connaît. Dès les années 1880, il abandonne la cause du monarchisme pour adhérer aux principes républicains.

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