Extrait du journal

Il ne faut pas trop rire du léopard du Bois Le léopard du Bois. Joli sujet de sketch. Aimable motif de chronique. Les gens d'es prit exercent leur verve à son propos. Les imbéciles font sur lui de grosses plaisante ries dont ils sont les premiers à rire sans discrétion. L'aventure est comique, en effet. Les histoires de fauves ont toujours plu à tout le monde. Entendons par tout le monde l'ensemble des personnes qui n'ont fait la connaissance des fauves qu'au Jardin des Plantes, ou dans des ménageries dont les grilles sont de bon acier. Beaucoup de braves gens que, dimanche, je voyais accompagner les chasseurs,sérieux ou non, qui battaient le Bois, s'amusaient énormément et n'imlaginaient- pas un instant qu'ils couraient un réel danger. Si, du haut d'un arbre, le léopard était tombé sur le groupe des trappeurs, quelques rires se se raient étranglés dans des gorges, et l'on au rait. à propos de l'escapade de cette mé chante bête, raconté hier moins de sottises et écrit moins de galéjades. Rien ne serait plus drôle que l'aventure du léopard, si cette aventure était terminée, si le léopard était, tué ou capturé, si. dans ce dernier cas, quelqu'un de qualifié s'était assuré qu'on l'avait enfermé dans une cage sérieuse, où ni ses griffes, ni ses dénis ne pouvaient lui permettre de faire une prêche. Qu'on rie, tant qu'on voudra, de l'his toire de la tigre-sse de Marseille, qui est morte et enterrée. Qu'on s'esclaffe tant qu'on pourra, en se rappelant la merveil leuse odyssée du tigre de Meuclon, qui, lui, n'a jamais existé. Mais qu'on attende avant de décider que le léopard du Bois est de la même famille que les deux fauves auxquels les humoristes auraient dû élever des sta tues, que ce léopard ait été mis hors d'étatde nuire. Nous n'en sommes pas là. 11 y a un fait brutal. Un léopard est en li berté. Tout fait supposer qu'il n'a pas quit té le bois de Boulogne. Cette bête a faim. La soif, d'autre part, doit l'exaspérer. En captivité depuis trois mois, elle s'est habi tuée à recevoir à heures fixes sa ration de viande et à avoir près d'elle une auge plei ne d'eau. Il faut qu'elle mange et qu'elle boive. J'ai parlé d'elle, hier, à un homme qui connaît un peu mieux que moi les mœurs du léopard, le dompteur Fernando, ce hardi belluaire dont le corps n'est, que cicatrices et qui, depuis l'âge de quatorze ans, a tou jours vécu, avec les fauves, dont il sait, mieux que quiconque, se faire respecter. Fernando est, évidemment, un, des hom mes que la rencontre du fugitif, dans une clairière du Bois, intimiderait le moins. Il n'ïiesilé pas" cepehdahî à1 déclarer qil'on ' a tort de prendre à la légère l'escapade du pensionnaire du Jardin d'Acclimatation, et que cette histoire, qui a commencé comme une bonne plaisanterie, pourrait très mal finir. — Pour moi, dit un autre dompteur, qui assiste à la conversation, on retrouvera la bete sur les bords de la Seine. Il est inutile de chercher ailleurs. Que ce soit sur les bords de la Seine ou \ers la porte de Neuilly, l'important est qu'on retrouve vite cet hôte indésirable du Bois. Car si les recherches se prolongent pen dant quelques jours sans résultat, le léo pard -cessera d'être un sujet de plaisante rie pour devenir un objet de terreur. On n'osera plus aller au Bois. On aura peur de le rencontrer. On craindra de tomber dans un piège tendu à son intention. On s'effraiera à l'idée d'être atteint par une bal le tirée au jugé. Car des émules de Tartarin battront les buissons la nuit. Et, seul, le Malais Roggers osera se promener dans le Bois.son armure de cuir lui permettant de braver à la fois le gibier et les chasseurs. Emile Darsy....