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Le Figaro, 19 avril 1906

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Le Figaro
19 avril 1906


Extrait du journal

La vie de Paris a de ces hasards... Elle nous donne parfois un son qui venant à la rencontre de ce que, ce jour-là, nous portons plus spécialement en nous, s'harmonise de suite, établit l'unisson, et fait l'accord parfait. Et ce son envoyé par la vie à nos échos inté rieurs, s'entend fréquent, suivant qu'on se penche, qu'on prête' l'oreille, qu'on écoute. Et la note nous ayant frappés, précieusement nous la gardons. Elle vient renforcer le con cert intime que chacun de nous s'offre aux minutes privilégiées ; c'est un peu de chant à garder pour les heures où la sonorité géné rale met sa sourdine, où nous recueillions' moins... , L'autre jour, c'était Pâques, et la grande fête qui renouvelle chantait en plein soleil l'alleluia dé la terre. Mystérieusement, par des voies connues d'elle, la nature se passait le mot de résurrection. Et le mot marchait bon train, faisait de belles choses, éclairant les visages, faisant circuler partout la jeune vie. Dans l'air, pendant de longs mois resté vide, reparaissait l'oiseau; aux branches long temps dénudées s'accrochait maintenant ou une feuille ou une fleur. Une lumière jeune et blonde, née d'hier, éclose des cendres des an ciens soleils, avait pris la place de la clarté pâle de l'hiver. Et voilà que, dans cette joi e claire des choses qui saluait tous les réveils, faisait fête à toutes les éclosions, disait adieu à toutes les fins, je rencontrai là-bas, sur mon chemin, au bout du grand Paris, une petite filleHuit ans, tout en noir, les cheveux pâles flottant sur les épaules chétives, immobile et seule sur le pas d'une porte, la figure occupée ailleurs, mais l'œil bleu attentif, presque fixe, intensément arrêté sur un point, fouillant la route. Et le regard me surprit, - autant que la robe sombre, la triste robe des tombeaux, contrastant étrangement avec la chevelure d'or, si voisine encore du premier berceau, peut-être aussi l'isolement de cette silhouette d'enfant se détachant'presque grave, dans la" rue silencieuse, en ce jour de Pâques, où les enfants d'habitude ne sont pas seuls, mais chantent comme les oiseaux dans le ciel, et font gaiement des rondes... Et instinctivement, craintif de mettre au passage, dans la vision enfantine, autre chose que de là joie, je me surpris de dire à la pe tite songeuse : « Voilà, on n'aura pas été sage, on aura été grondée et maintenant il faut rester à la maison, pendant que les au tres jouent là-bas, dans le square. > Mais l'œil toujours en arrêt, l'oreille tendue, la parole brève et qui termine vite. « Non, mon sieur, répondait l'enfant solitaire, maman est morte la semaine dernière ; on l'a emportée par là; mais aujourd'hui c'est Pâques; elle est ressuscitée ; je l'attends depuis le matin, elle va rentrer pour le soin Et le son resta dans mon oreille, ainsi que l'accent de certitude infinie ; — et ils ne me quittèrent plus de tout le reste du jour.. Ainsi, faisant sienne l'atmosphère ambiante de ré surrection qui, venue ce jour-là des plus hauts sommets, se répandait sur toutes choses, amenant ici et là les passagères résurrections et parlant à tous de vie nouvelle, l'enfant s'en était imprégnée dès l'aurore, la ramenant tout entière sur elle, sûre qu'elle ne la trom perait pas, en attendant tout. Naïvement, sans plus longs calculs, elle s'en appliquait le sens simple, était sûre du miracle, et la parole1 de conviction ardente se mettait d'harmonie com plète avec la tonalité du jour. Pour l'orphe line aux aguets, le soleil de Pâques irait au cimetière réveiller la pauvre morte, comme il y ranimerait une fois de plus les fleurs des tombeaux. Maintenant, sur Paris en fête, le soleil se couchait dans un nimbe d'or, et en ce soir de Pâques, je songeais avec mélancolie, que làbas,, loin des rires, l'enfant attendrait en vain le retour de la mère partie qui ne passe rait plus jamais dans la rue silencieuse. Je pensais aussi qu'en ces jours de renouveau général, beaucoup de nous sont peut-être sur le pas de leurs portes, espérant les résurrec tions particulières, guettant les joyeux retours ! Mais nous, nous n'attendons plus nos morts. Nous savons douloureusement que les tombes les gardent, et qu'ils ne refrançhiront plus, ici, les marches des seuils quittés. Mais, il y a d'autres absents,plus près de la vie, les illu sions moins fermes, les espoirs moins gardés, le jour intérieur pâli, tout ce qui faisait notre...

À propos

En 1854, quatorze ans après la disparition du petit journal subversif du temps de Charles X, Hippolyte de Villemessant relance Le Figaro. Paraissant d’abord sous la forme d’une petite feuille de chou littéraire, Le Figaro absorbe L’Événement en 1866 pour devenir, sans transition, le grand quotidien conservateur que l’on connaît. Dès les années 1880, il abandonne la cause du monarchisme pour adhérer aux principes républicains.

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