Extrait du journal

La voilette de charité De Lyon, de Calais, de Caudry, une plainte nous arrive. Celle de plus de quatre mille ouvrières, spécialisées dans l'industrie de la voilette : « Jusqu'à présent, écrivent-elles, nous avions de la patience à cause des diffi cultés qu'un autre apprentissage nous de manderait et parce que nous espérions un retour de la mode. Mais... » Mais les mois ont passé, les années mêmes. Il a eu beau faire froid ou soleil, le vent a pu souffler et la poussière tourbillonner, la voilette n'a pas retrouvé sa vogue de jadis. Nous allons partout, 3e visage nu et — qui s'en serait douté — c'est un désastre. Il n'incombe pas, d'ailleurs, aux créateurs de la mode, lesquels, à diverses reprises, ont essayé de décréter à nouveau le port de ce masque léger. C'est nous, les femmes, qui refusons de le remettre, malgré notre « sou mission bien connue ». A Paris surtout; mais en province, la voilette n'est pas en core socialisée. Il faut être d'une certaine classe pour oser s'en parer. Cet appoint est donc trop faible pour faire vivre une indus trie, puisqu'on se lamente à Lyon, Calais et Caudry. Je ne voudrais ni forcer la résistance — n'ayant aucun titrp en matière de. mode 7-. tii afficher un cœur-ridicule;mais, le chôma ge, par ces temps de vie chère, ce doit être quelque chose d'affreux. Et la voilette, à tout prendre, fut une gracieuse parure. Elle était inutile; elle n'était pas très solide; elle sa vait être coûteuse ; la mettre était un art qui faisait valoir de beaux bras et le geste opposé justifia, parfois, bien des espoirs. Eufin, des qualités primordiales l'imposaient à l'attention des femmes. Et des littérateurs ! Combien y a-t-il de voilettes, enlevées et remises dans les romans de M. Paul Bourget ? Et des poètes ! Oh! les premiers baisers à Iratiers la ooilette. Sans remonter au temps du bon Coppée, quelle est la femme de trente ans qui ae garde pas, dans son tiroir secretr un peu de tulle chiffonné, sur quoi, par les soirs mé lancoliques, elle pourrait de deux lèvres n-ventes, chercher la place d'une empreinte ef facée. Et qu'il eût pu être charmant le der nier livre qu'a projeté Annie de Pêne : Les Mémoires d'une voilette et qui — faute -à là mort — ne fut jamais écrit. Il s'agit, pourtant, de sauver de la misère quatre mille ouvrières et, de l'oubli, un fin métier français. Et combien de fois a-t-on trouvé des gens pour danser au bénéfice de quelqu'un ou de quelque chose : monument, sinistrés, messieurs pauvres... Mais ne dan sons pas, voulez-vous, même en robes ce tulle ; un bal, c'est provisoire et nous de mandons l'éternité. Ce qu'il faudrait — je ne l'insinue que comme indication — c'est que les femmes réapprissent, du moins à cer taines heures, l'usage de la voilette. Elles risqueraient d'y gagner un surcroît de grâce et de correction. (N'escomptons pas d'avan ce les doux souvenirs.) Elles ne pourraient qu'y perdre l'habitude, si démocratisée, de considérer la rue ou l'autobus comme une annexe de leur cabinet de toilette. Et 11e vous en déplaise, ô divine Colette, il serait enfin permis de demander à une femme « pourquoi elle met une voilette ». Hélène du Taillis....