Extrait du journal

Il n'y a guère, en France, d'irréalisables que les petites réformes; et c'est pourquoi je doute que celle-ci s'accomplisse avant bien long temps. Cependant beaucoup d'honnêtes gens s'ac cordent à la désirer : on souhaiterait qu'à l'é poque caniculaire où nous sommes, l'exotique coutume de la sieste devint un usage français. Il semble même que nous y soyons encou ragés par l'exemple d'un pays très à la mode en ce moment, et que sa situation géogra phique paraîtrait devoir éloigner, encore plus que nous,du goût des usages orientaux : je veux parler de là Norvège. Un de nos collaborateurs, passant ces joursci & Christiania, ne nous disait-il pas hier l'étonnement de deux Parisiennes qui, allant sonner,' vers quatre heures de l'après-midi, à la porte d'Ibsen, furent toutes stupéfaites de cette réponse de la domestique : « Monsieur dort > ? Nos aimables compatriotes crurent qu'on se moquait d'elles, que c'était là une façon polie de les congédier. Pas le moins du monde ; l'esprit norvégien n'est pas tourné à ces sor tes de plaisanteries. Ibsen faisait tout bonne ment sa sieste, suivant l'usage « oriental » que pratiquent, à cette époque de l'année, la plupart dès habitants' des villes, dans son pays. On dîne, en pays Scandinave, vers trois heures, et l'on fait, pendant la saison chaude, un léger somme après, son dîner. Il n'est même pas rare que, dans la maison étrangère où l'on dîne, une chaise longue soit offerte à l'hôte," au moment où il sort - de table. Il s'y repose une demi-heure, et le café, destiné à le réveiller, ne lui est apporté qu'au bout de cette demirheure, après la sieste. Nous vivons de préjugés. Il est admis chez nous, par un grand nombre de personnes, que rien n'est plus contraire aux lois de la bonne hygiène que de prendre un repos horizontal après le repas. Il est vrai que nous n'en avons pas l'habitude en France; et que l'expérience ayant coûté une migraine à quelques-uns, ces quelques-uns l'ont déclarée néfaste. Et ce préjugé est si bien enfoncé dans les cervelles françaises qu'en Orient même, aux heures chaudes de la journée,où les plus misé rables se reposent, on voit nos ' compatriotes s'agiter. Les Orientaux ont fait, je crois,passer cette remarque en proverbe : ils disent, en parlant de ces brûlants commencements d'après-midi où toutes les maisons se ferment, où la vie s'interrompt partout, que c'est le moment où l'on ne voit dans les rues que « des Français'et des chiens ». Et cette asso ciation de termes n'a, dans leur bouche, rien de blessant. C'est une simple constatation qu'ils ont faite. - Pourquoi nous obstiner dans le mépris d'qn usage qui serait charmant pour tout le monde, et profondément salutaire & tant de pauyres gens ? A force d'écrire dans nos géographies et de nous répéter que nous sommes un pays « de climat tempéré », nous avons fini par nous croire dispensés de toutes les précautions usi tées ' sous les climats officiellement classés «' chauds » ou' « froids ». Et comme nous avons l'avantage de jouir alternativement, chaque année, de températures sibériennes ou tropicales qjie notre tradition météorologi...