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Le Figaro, 22 juin 1939

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Le Figaro
22 juin 1939


Extrait du journal

PAR JAMES DE COQUET es jeunes filles d'aujourd'hui », l'expression est de tous les temps. L'homme des premiers ■ âges, quand il vit la jeune fille des temps néolithi ques regarder dans le ruisseau si son visage approchait du type brachycéphale dont elle pressentait la mode, il soupira pour la première fois : ' « Ces jeunes filles d'au jourd'hui... » Et. sans doute leur reprochait-il de délais ser la chasse à l'aurochs. Que n'a-t-on pas reproché aux jeunes filles, d'aujourd'hui ? Sous la Renaissance, de s'appeler Lucrèce et de trop aimer la poésie, sous M. Taine, de s'appeler Marthe et de ne plus savoir décorer sur faïence. Ça ne les a pas empêchées de s'établir et de devenir à leur tour « les jeunes filles de mon temps ». On parle toujours des jeunes filles, comme si elles n'étaient que le contingent immédiatement mobilisable des personnes à marier. C'est qu'on a fait un état de ce qui est une façon d'être ou de sentir. On croit qu'elles accomplissent un stage lequel, une fois terminé, donne droit au port d'un insigne : une rose à son chapeau ou un mari à son bras. En réalité, elles se < préparent à être ce qu'elles seront toute leur vie. Car on ne voit guère pourquoi tout ce qu'on réclame d'elles, la gaieté, l'inno cence et la vertu, serait des qualités superflues dans, un ménage. Une jeune fille rougissante... Serait-il défendu aux épouses et aux mères de rougir ? Il y a dans la mer de petits poissons, trop vulnérables, à qui la nature a donné le moyen d'échapper à leurs ennemis en .émettant des nuages noirs. Il n'y a pas que les poissons-jeunes filles qui en usent. Tout âge a ses alertes, et c'est bien com mode de pouvoir empourprer son front pour dissimuler ses pensées. Dès qu'on parle des jeunes filles, les comparaisons qui viennent 'à l'esprit sortent du monde des oiseaux, ou des poissons, ou des insectes. C'est qu'elles - sont tout près de la nature. Il y a certains insectes qui ont- cétte faculté particulière de se confondre avec le milieu'où1 ils vivent. C'est l'homochromie, ' grâce à ■ quoi l'Hymenopus, par exemple, prend la forme et la couleur de l'orchidée et la sauterelle les apparences d'une feuille de goyavier. Les jeunes filles offrent une particularité contraire. Elles sont, réfractaires à l'ambiance. Au couvent, elles sont voltairiennes, et les filles d'actrices rêvent du cloître. Vou drait-on que le fait d'avoir dit « oui » devant'témoins fasse perdre à jamais cet esprit d'indépendance ?-La meilleure épouse serait-elle celle, qui • approuve son mari en toutes choses, qui est d'accord avec lui sur toutes les. questions, sur le choix d'une baignoire comme sur celui des relations, sur la question de^ la courbure de l'univers" comme sur- celle de la courbe des' sourcils ? Les jeunes filles qui ont" fait de mauvais mariages voient leur dot s'évanouir dans les premières années de leur ménage. Celles qui en ont fait de bons, ne. la voient fondre qu'un peu chaque jour, au rythme normal, de la fonte des capitaux. De même, les jeunes filles mal, ma riées perdent en une saison leur air de jeune fille, tandis ■ que celles rqui sont heureuses dans leur nouvel état con servent à» jamais les émois, les élans et les étonnements de leurs premières années. On cesse d'être demoiselle. Mais on ne cesse pas d'être jeune fille si on l'était vraiment. Il suffit de garder sa sensibilité, son " esprit d'indépen dance,- son pouvoir de s'émerveiller. Tant qu'on considère la vie comme un Palais de la Découverte, où il y a des expériences qu'on n'a pas faites, c'est qu'on est encore un peu «ne jeune fille. On peut continuer de l'être après son troisième enfant ou son troisième mari. Une vraie femme, c'est une jeune fille qui se survit. Autrefois, les jeunes filles se mettaient du rouge aux lèvres avec les coins de leurs livres de prix. On se fardait nn an avec un premier prix de * morale. Aujourd'hui; elles mettent du rouge de bonne qualité et, si elles nuan cent leur beauté, c'est avec des couleurs sans danger. Hier, elles avaient hâte d'être grandes pour se couper les cheveux. Aujourd'hui, elles attendent l'âge du chi gnon. Naguère, elles pensaient à prendre des formes, aujourd'hui à les perdre parce que c'est la sveltesse qui est devenue le signe de l'émancipation. L'espèce continue. Etre une jeune fille, c'est avoir une silhouette d'un seul jet et une âme sans faux plis. C'est oser s'offrir à la lumière pour qu'elle vous baigne tout entière, comme les statues. Il n'y a pas d'époque pour cela. Et à peine d'âge. James de Coquet. -...

À propos

En 1854, quatorze ans après la disparition du petit journal subversif du temps de Charles X, Hippolyte de Villemessant relance Le Figaro. Paraissant d’abord sous la forme d’une petite feuille de chou littéraire, Le Figaro absorbe L’Événement en 1866 pour devenir, sans transition, le grand quotidien conservateur que l’on connaît. Dès les années 1880, il abandonne la cause du monarchisme pour adhérer aux principes républicains.

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