Extrait du journal

Les matelots, on le sait, ont l'habitude de laisser leur solde se capitaliser pen dant leur traversée, afin de toucher, une fois arrivés à destination, un magot res pectable, qu'ils dévorent le plus follement possible. Tous les gens des ports sont au courant de cet usage, et l'estime pécu niaire qu'ils accordent aux marins est en raison directe des distances qu'ils viennent de parcourir, et surtout des mois qu'ils ont passés en route. C'est ce qui explique cette scène chez un marchand de vin de Marseille. Deux loups de mer ont dépensé l'ar gent qu'ils avaient dans leurpoche. Mais ils affirment qu'ils en ont chez eux, et le marchand de vin, qui les connaît, leur accorde à dîner sur parole. L'addition est plus que respectable ; les deux amis font assaut de délicatesse et se dispu tent la priorité pour payer le lendemain. — Voyons, dit le commerçant, qui, pour régler la question, ne se base que sur la solvabilité des consommateurs, d'où arrivez-vous ? — Eh ! parbleu, de Batavia, répond l'un.. — Bien... et vous? — De Batavia aussi! — Oui, mate il est venu sur un va peur, et moi par navire à voiles ! — Alors, dit poliment le marchand de vin en s'adressant à l'autre, l'addition est pour le bateau à voiles....