Extrait du journal

* * . ' ' ' Montmorency. En ce temps-là — qui est le nôtre —< l'om,bre de Jean-Jacques eut le nostalgique désir de revenir sur la terre. Jean-Jacques souhaitait de connaître les résultats de ses utopies sociales ; puis il conservait aussi la tendre mémoire des lieux qu'il avait le plus aimés. Il se disait : « Quel ravissement de revoir les sentiers où le Pro meneur solitaire, accablé par la malignité du sort, mais enivré du puissant amour de la Nature, portait' ses pas silencieux et sentait dans sa poitrine débile battre le cœur em brasé de Cybéle ! On a beau être entré dans le domaine absolu delà Gloire, on-n'en re grette pas moins ces heures fugitives pendant lesquelles la jeunesse qui s'achève s'attarde à poursuivre ce qui échappe toujours à nos sens : l'illusion fraîche du bonheur. » La matinée était, 'radieuse ; un clair soleil de juin animait les campagnes de l'Ile de France et versait la joie parmi les-milliers d'êtres nouveaux éveillés à la lumière. Cepen dant le Promeneur s'étonnait de ne pas' re trouver cette ivresse singulière et secrète, cette ferveur universelle des beaux jours d'été. Une tristesse, une désolation muette s'oppo saient à la confiance des choses ; et môme le chant des oiseaux témoignait de quelque furtive inquiétude... Il avait gagné l'entrée d'un bois, dont il savait par avance la splendeur ; tout ce qui se cachait là de' fécondité et de réserve do forces, depuis le brin de mousse jusqu'aux plus hautes frondaisons des chênes, il l'avait, étudié, scruté, pénétré : là il était devenu vraiment le fils et l'époux de la terre. Mais quel désenchantement l'attendait ! Les plus grands arbres abattus, couchés comme des cadavres, étendaient sur le sol leur armature dépouillée du vert couronnement des branches; frappés en pleine sève, ils gisaient, écrasant de leur masse inerte tout ce qui naissait et s'épanouissait à leur ombre. Ce lieu de délices était devenu une nécropole où les témoins de la beauté éternelle avaient trouvé une lin tragique ; et l'enchantement de la Nature, la bénédiction des nids, avait faî place à l'horreur du sacrilège, à la dévasta tion et à la mort. Jean-Jacques s'était enfui par. un sentier détourné. Il regrettait déjà la curiosité pos thume qui l'avait ramené sous ces ombrages. Quelques bouleaux blancs, minces et fragilés, se balançaient dans l'espace aérien, tandis qu'un filet d'eau coulait à leur pied vers une destination inconnue. L'odeur des menthes sauvages et des presles rappelait à celui qui les respirait les sensations éprouvées jadis ; et avec elle un espoir venait le délier de son accablement. Encore quelques pas, et il al lait rencontrer'la chaumière au toit bruni, le banc de pierre et la treille en guirlande près desquels il.aimait se reposer avant de conti nuer sa route. . Certainement tout cela devait subsister en core ; les humbles demeures sont celles qui résistent le mieux aux injures du temps... Il se hâtait ; le paysan, assis devant sa porte, ne l'accueillerait-il pas comme le faisait son aïeul?... Le même paysan à la forte encolure, à la moustache épaisse, au front rude; • Assis, devant sa porte, cet homme, en effet, semblait l'attendre. Jean-Jacques lui tendit la main. — Mais expliquez-moi, mon ami, lui dit-il, ce qui se passe ici. — Expliquez-moi plutôt, répartit' l'autre, pourquoi les hommes ont tant de cupidité et de sottise ? Ce n'est pas assez d'avoir la guerre et des ennemis barbares qui dévastent notre patrie^ Il faut encore que nous détruisions ce que l'ennemi nous a laissé, et que nous assis tions à la ruine systématique de nos campa...