Extrait du journal

L'éloquence et plus souvent le bavardage cons tituent eux aussi de merveilleuses réactions défen sives. Elles protègent contre le dénuement mental. « La vraie éloquence se moque de l'éloquence », déclarait Pascal. Il entendait par là que la vraie éloquence renfermait des éléments de pensée qui la dispensaient des développements de rhétorique. Ne se laisse entraîner par les mots que celui qui-n'a rien à dire. Une parole vide de substance s'enfle démesurément. C'est comme le bouillonnement d'un torrent échappé de la Mer Morte. Cela fait bien du tapage et aucun élément de matière vi vante ne trouve asile dans ses eaux. A l'origine du bavardage règne l'amour-propre, d'autant plus trépidant que fait défaut le correctif de l'intelligence qui aurait chance de le réduire à la raison. L'absence de l'esprit se dédommage alors par la quantité des manifestations verbales. Le creux du premier entraîne la résonance des autres. La nature accomplit ce miracle de tirer quelque chose de rien. Et ce quelque chose est orchestré formidablement. Des cataractes d'arguments- se précipitent, bouillonnent, rebondissent, éclatent enun éventail de paillettes éblouissantes. Combien plus sages, nos paysans ! Le voisinage des larges espaces les incite à un reploiement sur soi. L'ombre des grandes formes naturelles leur impose le repos dans un sentiment d'humilité. Ils ne se glorifient nullement. La lumière et le silence sont trop près d'eux. La majesté du lieu inspire le tour de leurs pensées. Que diraient-ils ? Us ne savent rien du concert qu'organisent les forcés in connues de la nature et la montée des sèves dans toute l'étendue du monde vivant est un de ces mystères qu'ils renoncent à approfondir. Est-ce ce mutisme et cette résignation dans la solennité du cadre qui permettent à nos paysans d'accumuler à leur insu un trésor d'impressions et une beauté d'images qui feront la richesse et la gloire de leurs descendants ? Des fils de paysans sont devenus des hommes de génie. Dans quelle mesure maintenant un orateur peutil engendrer un grand homme ? Cela dépend de la femme. Si elle est intelligente; le mal pourra être réparé. Sinon les mérites du produit, ne dépasse ront pas le niveau d'iine médiocrité, fort modeste el la screnite des mondes ne sera: nullement trou blée par la foudre de son apparition. Résultat dont se félicitera hautemontla mentalité du milieu contemporain* Il n'apprécie pas' du tout un bouleversement par les supériorités. C'est pour quoi ses sympathies se précipitent avec une telle ardeur vers le développement de l'instruction. Les connaissances acquises apprennent plus à bavar der qu'à réfléchir. Il faut un cerveau de, marqué pour ne pas se laisser écraser sous le poids des matériaux dont est accablée sa résistance. La plu part succombent. L'école unique amplifiera singu lièrement ce désastre. Mais la catastrophe est indis pensable. La mécanique des .phrases toutes faites devra de plus en plus imposer silence à la spon tanéité des sentiments et à la personnalité des idées. Car le principe d'égalité sera sauvé du jour où l'automatisme du bavardage fonctionnera comme un moteur d'auto, avec échappement à l'air libre et plus assourdissant encore. Dr Ch. Fiessinger....