Extrait du journal

La naissance de cet enfant fait autant de bruit que les mariages et les divorces de sa mère en ont fait. Je ne pense pas qu'elle ait souhaité, lorsqu'elle était une jeune fille, cette publicité qui la suit depuis qu'elle a cessé de l être. La fortune devenant une chose assez rare est le dernier amusement des peuples. Ils ont tout fait pour la détruire et ils y ont assez bien réussi; mais ce qu'il en reste, çà et là, les fascine. Ils ont donc entouré cette héritière, — la plus 'riche des Etats-Unis, assure-t-on — d'une curiosité que les journaux d'outre mer et d'outre-Manche s'emploient volontiers à satisfaire. Le miracle est que cette belle personne n'en soit pas gâtée. Du moins soutientelle le feu des indiscrétions avec une contenance honnête et se baigne• t-elle chaque saison au Lido comme toute• autre sirène. La mer, ce jourlà, n'est pas plus pailletée d'or que lorsque c'est vous ou moi qui nous y plongeonsEn revanche, la venue au monde de l'héritier de cette fortune a en traîné à Londres un cérémonial con sidérable. Les journaux anglais en ont donné le détail qui tenait pres que autant de place qu'un autre dé but dans le monde, celui de M. Eden. Il n'y avait que la Chambre des Communes à balancer un peu en importance la chambre de cette da me. Et tout cela fait réfléchir. Soyez sans crainte : je ne vais pas vous rééditer le monoloque deFigaro, car en dépit de son éternité et de la gratitude d'un journal qui lui doit son nom, sa réflexion n'est plus ici de circonstance. Cet enfant, en effet, ne s'est donné que la peine de naître, mais dans ce temps-ci quand on s'est donné la peine de naître, il faut encore se donner celle de vivre, ce qui n'est pas commode. Que restera-t-il de ces trésors quand ce garçon-là, ou cette fille (au fait je ne sais plus : le luxe des détails m'a fait oublier le principal) aura vingt ans ? Oui, dans vingt ans, que seront les fortunes d'aujourd'hui,-les situations acquises et jusqu'à pré sent conservées, que vaudront tous les magasins de New-York et ce titre de la « plus riche héritière d'Amé rique ». Je souhaite que rien n'ait bougé, que cette personne soit en core blonde avec un beau regard hautain, que son pavillon flotte sur son yacht avec les quarante-huit étoiles de la bannière étoilée, et que cette petite fille devenue à son tour la plus riche héritière du monde (ou ce garçon) se prépare une vie ro manesque semée de mariages, de di vorces et de dépêches dans le Dailv Mail. Je le souhaite, mais j'en doute. Rien ne me donne l'anxiété de 'avenir, ou sinon l'anxiété du moins ne me fait penser à l'inconnu des jours comme le visage d'un nouveauné. Que sera-t-il ? Celui-là que tous les journaux accueillent comme un prince de l'or pourra-t-il seulement jouer à l'heure prévue son rôle...