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Le Figaro, 27 août 1878

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Le Figaro
27 août 1878


Extrait du journal

droyante qui doit singulièrement sur prendre les reporters qui ont consacré au chien de M. de Bismarck un si grand nombre d'articles. "Gomment ai-je ap pris la grande nouvelle ? Par suite de "quels efforts diplomatiques suis-je par venu à savoir sur ce chien les renseigne ments les plus extraordinaires ? C'est mon secret. Bref, je suis en mesure de parler de ce chien historique d'après des documents authentiques. Le fameux chien, le célèbre chien, l'illustre chien Sultan n'est plus de ce monde. Le chien do Gastein est un faux Sultan; il ne s'appelle pas Sultan. Le vrai, le seul, l'incomparable chien his torique a été étranglé au printemps, en Poméranie. par des assassins qui, ne pouvant atteindre le maître, ont égorgé son chien. Un soir, Sultan quitta le-châ teau et ne revint point ; le lendemain, pas de nouvelles ; enfin, le surlende main, quel drame f On trouva le cadavre de Sultan dans le bois, un lacet autour du cou, pendu à un arbre ! L'Agence Havas n'a pas parlé de cet événement considérable. L'Europe n'en a rien ap pris ; le meurtre a été tenu secret ; le vé ritable chien de l'Empire est mort as sassiné, et son frère lui a succédé sans que le changement dans la dynastie des chiens du prince de Bismarck ait été no tifié aux cabinets étrangers. Les repor ters n'y ont vu que du feu, et un nouveau chien a pu succéder à Sultan, sans qu'on s'en apërçût sur la surface du globe. • A # # Nous avons eu, dans l'histoire, un pseudo-Smerdis ; le chien du prince de Bismarck est un pseudo-Sultan, ressem blant on ne peut plus à son frère aîné. Ceci explique comment les journalistes empressés continuent d'enregistrer les faits et gestes du chien de l'Empire, qui n'est plus de ce monde. Pouf les gazetiers et le public, le chien s'appelle toujours Sultan, mais, dans l'intimité, il a un autre nom plus significatif. On trouve un peu partout des chiens qui s'appellent Sultan, mais jamais on n'en a vu, dans aucun pays, portant noblement un nom curieux'; il s'appelle « Cuirasse » mot qui,'en alle mand, est masculin « der Kurass », c'éstâ-dire du même sexe que le Ghien. La bête est, en effet, une cuirasse vivante pour le prince j une cotte de mailles est gênante ; le prince de Bismarck l'a rem placée par un quadrupède. #*# Cuirasse, suivi h distance par un do mestique respectueux, s'avançait vers moi. C'était l'heure de sa promenade où, devant le public assemblé, il satisfait des besoins naturels. C'est encore bien de l'honneur pour-les baigneurs de Gas tein. Le portrait de M. de Bismarck n'est plus à faire pour les lecteurs du. Figaro. On l'a montré sous tous ses aspects : de face, de trois quarts, de profil; un petit croquis de Cuirasse comblera, je Eense, une lacune regrettable dans la iographie, toujours renouvelée, du grand chancelier. Cuirasse est d'une taille redoutable; il est noir de haut en bas, de long en large, reluisant comme une botte vernie; le valet de chambre qui le garde et l'assiste à l'heure de la toilette ne vole pas ses gages, c'est cer tain. Cuirasse semble avoir conscience de sa .haute situation et des fonctions importantes qui lui sont confiées; le secrétaire intime d'un grand chancelier ne peut pas déployer une plus altière majesté que le nouveau chien de l'Em pire. . Toujours suivi à distance par le laSuais, comme une Altesse en promenade, uirasse s'avançait vers moi. Quand le chien s'arrêtait, le domestique en faisait autant ^ il levait la patte pour continuer sa route, aussitôt, le valet de pied levait la sienne ; le laquais semblait avoir cal qué sa vie sur celle du célèbre chien. Arrivé près du banc, où j'étais toujours •assis à côté de l'agent de police autri chien, Cuirasse s'arrêta; il s'approcha d'abord de l'homme de police et appuya doucement sa gueule sur ses genoux, pour saluer le camarade ; puis se tour nant vers moi, il semblait me contem pler avec une méfiance redoutable. Flai rait-il dans mon jonc, l'épée que j'ai l'habitude d'emporter en voyage? Peutêtre. Avait-il reconnu un membre de la corporation des reptiles, comme nous appelle le prince ? Cela se peut : bref, le chien de l'Empire me regardait dans le blanc des yeux ; je voyais venir le mo ment où il allait me demander mon passeport. L'examen fut long. Enfin, Cuirasse pa rut satisfait : il mit ses pattes sur les genoux de l'agent autrichien, approcha son museau de son oreille et semblait vouloir lui dire : — Rien à craindre de cet étranger ! Puis il continua sa route, toujours suivi à distance par le laquais. Au mo ment où celui-ci défilait devant- moi, je crus lui être agréable en lui disant : — Oh ! le beau chien ! Le domestique me toisa d'un regard hautain et sembla surpris de l'audace du touriste qui lui adressait la parole sans avoir eu l'honneur de lui être présenté. Quand on a la gloire d'astiquer le chien de l'Empire, on a déjà le droit de mé priser le reste de l'humanité, n'est-il pas vrai? Le chien, entouré de nombreux bai gneurs, qui le regardaient avec la plus vive curiosité, continua encore pendant quelques minutes sa promenade, puis il rentra. Je l'avais suivi; devant l'entrée du jardin, se promenait un des élégants baigneurs en question. Le factionnaire était déguisé avec beaucoup d'art : pan talon clair, gilet blanc, redingote noire ; il avait même des gants ; un pardessus négligemment jeté sur le bras gauche, une badine dans la main droite, coifté d'un petit chapeau, cet homme jouait son rôle convenablement ; toutefois, ses pieds énormes, enfouis dans des bottes grossières, et une large main dégantée, montrant des ongles noirs, trahissaient ses origines vulgaires. Afin de compléter le croquis, j'ajoute que le chenajjan en question porte une enorme barbe rousse, car je désire que le prince de Bismarck reconnaisse l'origi...

À propos

En 1854, quatorze ans après la disparition du petit journal subversif du temps de Charles X, Hippolyte de Villemessant relance Le Figaro. Paraissant d’abord sous la forme d’une petite feuille de chou littéraire, Le Figaro absorbe L’Événement en 1866 pour devenir, sans transition, le grand quotidien conservateur que l’on connaît. Dès les années 1880, il abandonne la cause du monarchisme pour adhérer aux principes républicains.

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