Extrait du journal

Sentimentalités. — Dans le fond, je suis une affreuse dinde. Je me mêle de donner des leçons de psychologie et de prêcher le scepticisme, quand, en réalité, je suis la der nière des poires molles ou pour parler plus élégamment, des sentimentales. D’ailleurs, c’est le propre de tous les faibles de se cha touiller pour paraître courageux. La senti mentalité, c’est la lâcheté du cœur. Mais que cela soit tout ce que cela voudra, c'est exquis et cela fait souffrir. Donc on en vit... Je ne suis pas encore de celles qui prétendent qu’on en meurt. Tout ce préambule est pour vous dire que je continue à broyer du - noir et à songer à mon bel officier que je n’ai point revu, et que très probablement je ne reverrai jamais. Ce que c’est que de nous ! Il suffit qu’un homme paraisse vous négliger pour que nous nous précipitions pantelantes sous ses pas. A vrai dire "je ne me précipite nulle part, mais il ne faudrait pas me pousser beaucoun pour que je fasse quelque bêtise irréparable. Oh ! rassurez-vous, il n’entre dans ma cer velle un peu folle aucune idée de suicide. Ce n’est pas de cela qu’il s’agit... Mais I’e-vie me prend par instants de tout fiche eu l’air; maison, voiture, domestiques, toilette, amitiés, relations, joies, et de m’en aller toute seule, loin de tout, en quelque éloigné pays .brésilien, en quelque désert lybien, n’importe où enfin, pourvu que je rencontre des gens que je n’ai jamais vus, pourvu que je parle à des personnes qui ne me com prennent point. C’est plus que du spleen e* ce n’est pas encore de la neurasthénie. Mais ça viendra ! Patience ! Allons ! Secouons-nous un peu et disons des bêtises, ou plutôt racon tons celles qu’on vient de m’apporter toutes chaudes, commes des brioches....