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Le Fin de siècle, 3 mai 1903

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Le Fin de siècle
3 mai 1903


Extrait du journal

croyez-vous donc que je veuille mettre entre ces deux amis si jeunes, ces deux hommes de vingt ans, une haine terrible? Croyez* vous donc que je suis assez méchante pour faire souffrir ce bon Jack et le faire pleurer? Jamais! « — Alors, que faire ? demandai-je « — Eh bien, voilà ce que j’ai décidé: Albert n’a pas de maîtresse, il faut qu’il en ait une, une de mon choix, je serai moins malheureuse. J’ai pensé à Mariette, Ma riette est jolie ; elle me ressemble un peu et possède quelques-uns de mes goûts, puis qu’elle me demande des conseils, et qu’elle suit ceux que je lui donne. Il me semble que c’est une grande enfant que je forme à mon image. Je la lui présenterai demain. II faut qu’ils soient amants. La vue de leur amour tuera peut-être l’amour qui est en moi. Res tez auprès de moi pour me donner du cou rage. » « Tout fut fait comme elle l’avait décidé. Albert et Mariette furent mis en présence ; Mariette se toqua d’Albert et Albert se laissa... prendre. J’admirais l’énergie et le sang-froid de ma petite amie, calme et rieuse devant les deux amants qu elle venait d’unir. Elle protégea Mariette, lui donna même de grandes sommes pour l’empêcher de prendre d’autres amants; elle la voulait digne en tous points de celui que, malgré tout, elle aimait follement. Cependant, elle restait pâle, languissante. Elle, autrefois si gaie, si enfant, qui s’amusait de rien et de tout, passait desheuresà pleurer encachette. Sur ces entrefaites, elle quitta définitivement son mari pour s'installer tout à fait dans sa campagne. Le mari la délaissa ave.- joie, heureux de jouir de la dot et de n’avoir pas auprès de lui celle qui l’avait apportée. Puis ce fut l’amant, le vrai, le seigneur et maître de Mariette, qui surprit celle ci avec Albert, et se retira la laissant couverte de dettes. Mariette vint trouver Lola et, tout eplorée, raconta l’accident. Lola paya les dettes, garda Mariette auprès d’elle et voulut consoler la très consolable Mariette. « Quand même, on s'inquiétait. Lola était souffrante, elle dépérissait. Les méde cins n’y comprenaient rien. Un soir, Ma riette surprit un manuscrit, un journal, où Lola avait noté ses impressions, ses tour ments secrets, sa vie désolée, ses douleurs invisibles, la peine effroyable qu’elle endu rait au spectacle de l’amour Mariette-Albert. Mariette, en ce cas, fut bonne ; elle avoua tout au docteur qui, alors, prononça les grands mots de « maladie de langueur et anémie cérébrale ». « Lola, quelques semaines, fut entre la vie et la mort; elle avait le délire. Mariette, compatissante, dit à Albert : « — Mon cher, il faut que tu aies deux maîtresses : prends Lola ; elle t’aime, et c’est notre amour qui la tue... » « Pendant trois mois, Albert eut deux maltresses, Lola et Maiiette. « Jack, prévenu par moi et son ami, s’était retiré. Quant à Lola, encore toute meurtrie, elle ne se rendait pas compte de ce qui se passait autour d’elle, du moins de ce qui s'était passé. Cependant, elle était heureuse, ou semblait l'être. Un jour, elle demande à voir Jack pour lui demander pardon. 11 vient. Elle implore qu'il pardonne. Il lui jure qu’il la respecte et l’aime d’un grand amour de frère, et qu’il pardonne. «Mais, à moi, désolé,il avouequ’ill’adore toujours, et qu’il est très malheureux. « Et les mois ont passé. Soudain, Mariette, froissée que Lola fût autant aimée d’Albert, résolut de se venger, et après que Lola, ayant rompu avec sa famille, rejetée du monde, bafouée par ceux qui l’avaient con nue, fut seule avec son amant, elle s’empara de celui-ci, lui débita une foule de men songes odieux, l’affola au point que, revenu près de Mariette, il souleva une scène si terrible que Lola, désemparée, courut comme une démente à la rivière, et se jeta à l’eau. Albert, insouciant, partit, abandon nant le corps gracieux et fluet de Lola, la petite fée des pauvres, à des mains étran gères, à des domestiques qui, par hasard, l’avaient sauvée. « Trois semaines se sont écoulées depuis ce drame; Lola est toujours malade. J'ai écrit à Albert, j’ai supplié Jack, pour que l’amant adoré revienne. Albert n est pas revenu, n'a pas écrit. « Il n’aimait pas la pauvre Lola. Et fautil que je le dise? Je n’avais jamais eu con fiance en lui et je le soupçonnais de men songe quand il disait qu il 1 aimait. « Et, maintenant, croyez-vous qu’il n’y a pas des femmes honnêtes et aimantes? « Pauvre Lola, si belle poui tant, si blonde tendrement, avec ses beaux yeux d’un bleu si doux et si sombre-sous leurs longs cils noirs qui abritent, en palpitant, un rêve d’invincible mélancolie; si fraîche, avec sa peau laiteuse; si gracieuse, avec ses mains de fée et sa mignonne toute petite bouche, et ses dents de nacre; si amusante, si spiri tuelle, et si bonne excessivement. Elle n’avait qu’un défaut : elle était trop jolie et pas assez femme, comme il est d usage qu’une femme le soit. Pauvre Lola, se gué rira-t-elle? se consolera-t-elle? Et son roman aurait pu être si charmant 1 « Papo. » # * * La lecture de cette lettre m’a profondé ment ému, et je voudrais pouvoir aller dire à Lola tout ce que je pense. Mais, en...

À propos

Fondé fin 1890 par François Mainguy et René Émery, Le Fin de siècle était un journal mondain bihebdomadaire. Lorsqu’il paraît, il sort immédiatement de la masse en vertu de son style badin et de l’érotisme à peine voilé de ses dessins. En 1893, son « bal Fin de siècle » fait scandale à cause de la tenue très légère de certaines de ses convives. Quelques années plus tard, en 1909, le journal devient Le Nouveau Siècle. Il disparaît en 1910.

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