Extrait du journal

Etre, d'âme, unis. S’aimer sans dire qu’on s’aime. Ne point chercher de vo luptés l’un dans l’autre. Et, quand même, être liés par un dévouement absolu. Être frère et sœur par sa volonté. Vivre tout près l’un de l’autre, et ne plus connaître que le léger baiser sur lefront et sur la joue. Tous les soins, les avoir : toutes les prévenances, y penser. Être amoureux sans songer qu’on pourrait être amants. Le cœur et la sensibilité remplaçant le sexe et la sensualité, et se faire heu reux l’un par l’autre à force d’amour pur et de noble tendresse. Ce serait l’amour platonique de ceux pour qui l’amour bestial n'a plus de secrets, qui veulent une autre vie, qui cherchent de nouvelles sensations dans l’accord mutuel de leurs lassitudes. Mais ce n’est pas là, ce ne doit pas être là l’ambition des jeunes hommes ni des jeunes femmes; la jeunesse a besoin de violentes amours ; les lèvres jeunes se doivent des baisers mutuels ; vous êtes la voluptueuse ardeur, amou reux de vingt à trente ans, parce que vous avez la rage d’amour dans la peau. Les plaisirs voluptueux sont in dispensables pour que vous appreniez à bien vivre, 'fous les rénégats, tous les immatériels de vingt ans sont des cré tins physiques; ce sont des estropiés ou des malades. Et, si j’étais femme, je ne voudrais aimer qu’un homme qui aurait déjà beaucoup aimé. Dans vos cervelles, il ne doit y avoir qu’une obsession : l'amour. Ah ! c'est tôt fini ! C’est si tôt fini, le temps où l'on aime l'amour ! Vous auriez tant dé regrets si vous n’aviez pas su profiter de votre beauté, de votre croyance ; si vous n'aviez su perdre vos chères illusions ! « Il faut avoir usé un peu de son corps pour trouver un peu de son cœur, a dit notre chère Aïeule; c’est l'amour qui fait l'homme, et seuls, les sensuels sont des hommes de cœur. » Victorien du SAUSSAY....