Extrait du journal

et vit à côté de la vie en pleine fantai sie d’indépendance. Elle est peut-être la seule qui ait vrai ment aimé. Quand elle aime, elle se prodigue; elle ne se vend pas, elle se donne. On l’aime, on l’admire. Sa beauté parfaite resplendit, et ceux de ses admirateurs auxquels elle ouvrit ses bras ne peuvent oublier la chaleur de son baiser. Souple comme une liane, nerveuse, dans l’été de sa splendeur maladive, elle est la souhaitée éternellement, la divi nement blonde qui n’a fait d’autre vœu que celui de rester belle jus qu’à ce qu’elle s'en aille au ciel des Amoureuses. Des poètes l’ont bercée, la nuit, comme un grand enfant blond, au rythme de leurs vers; des peintres ont dessiné ses splendeurs nues ; des sculpteurs l’ont ciselée dans le marbre. Elle restera, on se souviendra d’elle comme de Manon, comme de Marion, et comme des maîtresses des rois. Dans une époque moins terne et moins stupide, on lui eût bâti un autel, pour l’adorer mieux. Elle est si blonde et sa bouche est si rose et si fraîche, qu’elle ressemble à la dernièrerosequi s’épanouit en automne. Le bruit de son baiser est doux et mélo dieux comme la chanson du petit oiseau qui s’éveille. On l’accuse d’étre trop prodigue; on dit qu’elle deviendra pauvre ! Oh! tant mieux pour elle, tant mieux! Elle aura été l’insouciante, la noble, la belle courtisane, la seule de son temps qui, pouvant dormir sur un lit de billets de banque, n’aura point eu l’âme vile. Elle aura été l’oiseau d amour, ou bien la cigale ; elle aura été l’Amoureuse sublime, la divine pécheresse. Les épiciers la traiteront de folle, peut-être. Mais les autres!... Ils diront qu’elle fut belle et qu’elle aima. Victorien du SAUSSAY....