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Le Fin de siècle, 30 juillet 1903

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Le Fin de siècle
30 juillet 1903


Extrait du journal

sur sa couche, endolorie, pâle, épuisée, étreinte par la solitude brutale, exilée dans la vie, sans rien autour d’elle qui puisse la taire espérer, sans une main qui prendra sa main, sans une bouche pour baiser son front. Il est là, lui ; s'il n’était pas là, il n v aurait personne. Personne ! Le vide écœu rant, le comblera-t-il à lui seul ? « Vous pouvez compter sur moi, » a-t il dit. Mais, alors, s’il ne faisait pas tout ce qu’il peut pour cette femme, commettrait-il moins qu’un abus de confiance? Il est là; il s’ins talle au chevet de la malade ; les médecins font de leur mieux; le mal est entravé; il recueille le premier sourire et les premières confidences d’une pauvrette qui a cru mou rir et espère revivre, 11 ne faut pas qu’une négligence laisse au mal une brèche pourqu’il rentre plus fort. Il fait sentinelle. Il assiste à l’éveil vers la convalescence et la vie, vers le triomphe de la jeunesse sur la mort qui recule, se sauve, s'éloigne encore et dis paraît vaincue. Qu'a-t-il fait ? Tout ce qu'il a pu. Il a rempli son devoir; il est content, un peu fier de lui. Sa maîtresse ignore tou tes les minutes qu il a volées à l'amour pour les donner à l’amitié. Il a une immense reconnaissance à sa maîtresse de n’avoir rien deviné, rien vu, d’avoir cru dans ses mensonges, d’avoir oublié certaines ques tions qu; l’auraient effroyablement embar rassé et auxquelles il n’aurait pu répondre sans se trahir, peut-être. Tout est sauf, l’amour et l’honneur. C’est fini... Non, ce n’est pas fini. Une lettre anonyme, lâche et immonde, sournoisement parvient à la jeune femme ; cette lettre affirme que son amant a une autre maîtresse, qu’il la voit chaque jour et depuis des semaines, qu’elle est trahie, bernée ridiculement. On donne des noms, une adresse, des heures. On fournit toutes les preuves et les moyens de s’assurer que l'amant va bien à des « ren dez-vous ». Jalouse, indignée, furieuse, la femme qui se croit trompée ne se donne pas la peine de vérifier quoi que ce soit; elle accepte la dénonciation ; elle pleure, elle souffre, mais elle chasse son amant. Elle ne veut aucune explication, bille refuse d'entendre la défense de ce misérable qui lui a odieusement menti. Les bonnes actions ne sont pas toujours récompensées. L’amant écrit, supplie. C’est en vain, ses lettres ne sont même pas ouvertes. Il n’existe plus pour elle. Quoi 1 son amant irait chez une femme, chaque jourf Et il oserait encore prétendre à se défendre?Elle se mépriserait presque si, dans son amour blessé, il y avait de la place pour le mé pris. 'bout est fini, cette fois. Elle n'aime plus. Elle ne se venge pas. Elle oublie. Cependant, un jour qu’elle se voit sûre d’elle-même, un jour que sa colère et son indignation sont tombées un peu,elle ouvre une des lettres de son amant, de cet amant maudit. Elle lit. Elle s’intéresse. Elle achève la lettre. C’est un gemil roman ; elle ne sent pas, tant elle est troublée, que ce roman est le sien. Curieuse, elle veut savoir la fin de cette histoire. Une autre lettre ouverte est comme un nouveau chapitre. Elle est tout émue par sa lecture. Une nouvelle lettre, une des plus récentes, dit quelque part : « Je ne désespère pas de la voir debout avant peu ; malgré la rechute qui m’a tant fait peur, les médecins encore semblent l’avoir sauvée. C’est une nouvelle convales cence. Dans quelques jours, ma chérie, elle ira vers toi. Elle te dira la vérité. Tu l écouteras, ma douce aimée; je t’en supplie, dai gne l’entendre. Et quand tu sauras, par sa bouche encore pâle de petite malade, à quels mobiles j’obéissais en venant chez elle, je veux croire que tu me pardonneras de t’avoir fait le plus excusable et le plus clément mensonge qu’un amant comme moi puisse commettre envers une femme telle que toi. Encore, je suis un garde-malade; près d'elle je ne pense qu’à toi, et l'immensité de...

À propos

Fondé fin 1890 par François Mainguy et René Émery, Le Fin de siècle était un journal mondain bihebdomadaire. Lorsqu’il paraît, il sort immédiatement de la masse en vertu de son style badin et de l’érotisme à peine voilé de ses dessins. En 1893, son « bal Fin de siècle » fait scandale à cause de la tenue très légère de certaines de ses convives. Quelques années plus tard, en 1909, le journal devient Le Nouveau Siècle. Il disparaît en 1910.

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