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Le Fin de siècle, 6 novembre 1902

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Le Fin de siècle
6 novembre 1902


Extrait du journal

Et puisque je viens d’esquisser l’éloge des Sganarellcs héroïques, je l’achèverai par cette anecdote émouvante qu’un vieux chambellan autrichien me raconta naguère à Florence. Ce comte X..., bien qu’il eût dépassé ! âge où Ton écoute battre son cœur et où 1 on se laisse ensorceler par une jolie tête blonde ou brune, bien que toutes ses aven tures d amour et de guerre l’eussent réduit au rôle d’épave décorative, avait commis 1 insigne folie de s’éprendre, à Saint-Moritz, d’une frivole et charmante petite lion groi-e. Elle était la jeunesse qui met la vie en chanson, qui ne songe qu’à s’amuser, le rire qui ne prend rien au sérieux, qui gazouille comme un oiseau, la joliesse qui commence à s’épanouir à peine, qui a des tons délicieux d aube et de fleur. Elle ne vit dans le mariage qu’un pré texte de fête, de voyages nouveaux, de dépenses, que la liberté de sortir enfin toute seule, de recevoir, de flirter, accepta le comte comme elle eut accepté tout autre qui eût demandé sa main. Ils vécurent en bons camarades plutôt qu’en époux, mais elle ne paraissait pas s’en inquiéter, s'en mélancoliser. Or, un soir, cherchant une lettre à laquelle il devait aussitôt répondre, le vieil lard découvrit au fond d’un tiroir le cahier où sa femme notait l’au-jour-le-jour de sa vie. ses chagrins, ses joies, ses chimères. Et parmi les confidences futiles, comme d’une poupée, il lut avec tristesse cette phrase : « Je suis heureuse,_j.’ai tout ce que je désire, mais je sens bien que je pourrai pas résister à une tentation d’amour ! Ah ! comme je la regrette à présent, cette folie ; comme je le déplore, ce mariage qui m’ac cule au péché; comme je souffre de ne pas avoir attendu plus longtemps, de ne pas avoir épousé un homme jeune qui m’au rait adorée comme m’adore mon mari, mais que j’eusse pu aimer de toute ma tendresse, qui m’aurait entièrement pos sédée ! » Le comte essuya ses paupières où per laient de grosses larmes, écrivit au crayon entre les lignes : « \‘ous avez raison, mon enfant bienaimée, et je ne veux ni que vous soyez malheureuse ni que vous soyez coupable. » Puis, ayant refermé le cahier, il monta dans son cabinet de travail et s’y suicida... René MAIZEROY....

À propos

Fondé fin 1890 par François Mainguy et René Émery, Le Fin de siècle était un journal mondain bihebdomadaire. Lorsqu’il paraît, il sort immédiatement de la masse en vertu de son style badin et de l’érotisme à peine voilé de ses dessins. En 1893, son « bal Fin de siècle » fait scandale à cause de la tenue très légère de certaines de ses convives. Quelques années plus tard, en 1909, le journal devient Le Nouveau Siècle. Il disparaît en 1910.

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