Extrait du journal

M. BUFFET Avant-hier, au Sénat, dans la discus sion sur la réforme de la magistrature ou plutôt de la magistrature en réforme, le premier, M. Buffet est monté à la tribune pour combattre le projet de loi gouverne mental. Quoique souvent M. Buffet donne l'oc casion de le peindre, je n'avais point su encore jusqu'ici profiter de l'occasion que, cette fois, je ne veux point laisser échap per. Il y a longtemps que je voulais, en donnant une image de sa vie, dire l'estime profonde qu'il inspire, et le repos que son honnêteté donne aux consciences. Il fut un temps où M. Buffet était sur nommé le beau Buffet. C'est lorsque, re présentant du peuple à la Constituante, il votait la Constitution républicaine. Il avait alors de beaux cheveux noirs, de grands traits et q.n air grave, mais que l'éclat de la jeunesse tempérait encore. j'ai là, sous les yeux, un dessin de Cham qui représente le beau Buffet. Pour qu'on ne s'y trompe pas, le caricaturiste a donné au corps la forme d'un buffet de ménage, avec un tiroir et deux battants. C'est, comme vous pensez, une charge des plus simples ; pourtant le visage n'y manque pas d'une certaine beauté roman tique. Avec des yeux plus grand et une ex pression plus mélancolique, on croirait voir, Dieu me pardonne, un héros de lord Byron. Il naquit pourtant dans les Vosges, à Mirecourt, en 1818. Il fit son droit et mon tra de bonne heure une âme sérieuse, un peu à la façon de M. Dufaure. Laborieux, entêté aux affaires, naturellement sage, il mena sa jeunesse sans l'amuser ni la dis siper, et se trouva naturellement ministre à trente ans. M. Odilon Barrot, qui le prit dans son cabinet et lui donna le portefeuille du commerce et de l'agriculture, lui repro chait seulement de ne point savoir mettre sa main dans sa redingote, entre deux boutonnières, comme M. Guizot. Pour son début, M. Buffet ne resta mi nistre que vingt et un jours, du 11 au 31 décembre 1849. Quand il rentra dans le conseil avec M. Léon Faucher en 1851, il dura six mois et ne finit qu'avec le cabi net dont il faisait partie. C'est qu'il était, cette fois, parfaitement à sa place, dans un cabinet impopulaire présidé par un homme avide d'impopula rité. Je touche là au trait caractéristique de l'âme de M. Buffet ; s'il n'a pas, comme M. Léon Faucher, dont le tempérament était irritable et maladif, le désir de dé plaire, il n'a aucun désir, aucun besoin de plaire....